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Roubaix, une lumière

Le dimanche 18 août 2019, par Laurent Sapir
Arnaud Desplechin coche deux cases inédites dans son œuvre: la case polar et la case Roschdy Zem. C'est largement suffisant pour placer "Roubaix, une lumière" très haut dans sa filmographie.

Retour à Roubaix, sa ville natale, au moment de Noël. Non plus au travers de l'écrin virevoltant d'Un Conte de Noël, mais dans le fourmillement de ce qu'une cité de déshérités peut livrer de plus âpre et de plus humain. Ainsi Arnaud Desplechin retrouve-t-il le Nord après avoir déboussolé plusieurs de ses admirateurs. Entre préciosité et errance nébuleuse, une œuvre s'asphyxiait. La lumière (le titre du film est tellement parlant, à-ce-propos...) y entre à nouveau, enfin, fût-ce à travers un genre réputé mineur.

La case polar, donc... Plus d'hémorragie romanesque qui tienne, seulement la moiteur des faits, la crasse du réel, le chaos du quotidien. Parfait remède aux pêchés "depleschiens". Le voici condamné à la retenue, sur le mode Jimmy P. Peut-être est-il aussi amené à faire d'avantage confiance aux capacités d'incarnation de ses interprètes. Cela tombe bien, Roshdy Zem crève l'écran en commissaire stoïque et monacal. Il n'extorque pas les aveux, il les fait advenir par ses silences et son timbre de voix.

Douceur et intransigeance. Fermeté et compassion. L'arrière-plan mystique saute aux yeux, surtout quand lui fait écho la voix-off de Louis (Arnaud Reinartz), l'adjoint du commissaire, un catholique torturé relisant chaque soir Pascal et Lévinas. Difficile de ne pas penser au Police de Maurice Pialat dans cette mise sous tension des paroles et des palpitations. Plus extraverti que le commissaire de Desplechin, Le flic joué par Depardieu cherchait lui aussi à capter on ne sait quelle transcendance -une rédemption, peut-être- avant d'abdiquer, seul dans la nuit, avec en fond sonore La symphonie des chants plaintifs d'Henryk Gorecki.

Autre trait commun à Pialat, cette narration en blocs. Première partie toute en fragments: un homme au visage brûlé qui prétend avoir été agressé, le viol d'une adolescente, la fugue d'une jeune maghrébine... La mise en scène procède à la fois par arborescence et ébullition. Elle donne au drame qui va suivre, et sans jamais tomber dans l'emphase, tout son terreau sociologique. On en retient aussi la déambulation poétique au cœur des nuits roubaisiennes, entre maisons de brique et guirlandes de Noël.

Et puis il y a le meurtre de cette vieille dame et les soupçons visant ses deux jeunes voisines toxicos, Sara Forestier et Léa Seydoux, qui vivent ensemble. Roubaix, deux lumières... Léa Seydoux, cabrée dans ce qui lui reste d'un éclat passé; Sara Forestier, broyée de l'intérieur, avec une tête à la Falconetti dont l'effroi bouleverse lorsqu'elle saisit qu'elle n'échappera pas au bûcher. La façon qu'elles ont de se regarder, l'écheveau et la densité de leurs interrogatoires... On pense à la fois à Simenon et à Dostoïevski, convaincu qu'au regard de la filmographie d'Arnaud Desplechin, ce nouvel opus s'inscrit facilement dans la fourchette haute.

Roubaix, une lumière. Arnaud Desplechin. Sélection officielle au festival de Cannes 2019, sortie en salles ce 21 août.

 

 

 

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