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MARCO MEZQUIDA

Queen & Slim

Le vendredi 14 février 2020, par Laurent Sapir
Inspiré par le mouvement Black Lives Matter, "Queen & Slim", premier film de Melina Matsoukas, vibre sur une iconographie afro-américaine qui illumine le coeur et les pupilles. Dommage que la réalisatrice se soit plantée dans ses climax.

On a beau entendre côté B.O. le pepsi Come Running to Me d'Herbie Hancock, ces deux-là n'auraient jamais dû se rencontrer. C'est quoi ce mec trapu, banal et renfrogné ? Sculptée comme une tigresse, elle le dépasse d'une tête, songeant à quel point Tinder est fortiche pour fabriquer des couples aussi mal assortis. Il faut un flic de l'Ohio imbibé de racisme pour leur rappeler qu'ils ont la même couleur de peau. Un clignotant défectueux au départ, deux balles perdues à l'arrivée. Une fois le drame consommé, la tigresse et le petit Black n'ont plus trop le choix. Elle s'appelle Queen. Lui, c'est Slim.

Les voilà désormais inséparables, avec à leurs basques toutes les polices des States persuadées que Bonnie & Clyde sont de retour. Melina Matsoukas aussi les suit à la trace, et c'est avec flamme et sensualité que l'ex-clippeuse de la chanteuse Beyoncé filme cette cavale aussi dépareillée que ses protagonistes. Ayant quitté Cleveland, les deux fugitifs font un détour par la Nouvelle-Orléans où un oncle "olé olé" leur offre sa garde-robe et une Pontiac couleur turquoise. Dans le genre discret, peut mieux faire, surtout lorsqu'il s'agit de rejoindre la Floride où un avion doit normalement emmener nos tourtereaux à Cuba.

Curieuse trajectoire émaillée de moments où les futurs amants paraissent soudainement moins pressés. Dans un juke joint tout droit sorti d'un film de Wong Kar Wai, ils dansent sur un air de blues de Freddie King. Même temps suspendu quand ils se recueillent dans un cimetière ou lorsqu'ils contemplent un cheval blanc. Ces entorses à la vraisemblance ont valeur de torsades. Comme si Melina Matsoukas et sa scénariste, la comédienne et activiste Lena Waithe, avaient d'abord à cœur de décaler leur propos vers un autre imaginaire.

Voire une autre iconographie, à l'instar de la fresque murale qui mythifie Queen et Slim en nouveaux héros du mouvement Black Lives Matter. Même soif d'utopie dans les divers gestes de solidarité qui enrobent cette cavale et qui concernent aussi des Blancs... et des policiers ! D'abord surpris, on apprend à les savourer, ces contre-pieds à l'Amérique "trumpienne" qui semblent aussi faire écho à d'autres entraides inopinées même si au 19e siècle, c'est en sens inverse, plein Nord, que les esclaves fuyaient le long de l'Underground Railroad.

On l'aura compris, Queen et Slim font tout ce qu'il ne faut pas faire. Pas grave. L'essentiel, c'est que la romance vibre. Elle dérape aussi, malheureusement, dans ce qui est censé constituer les deux climax de la mise en scène: la torride partie de jambes en l'air dans la bagnole sur fond d'émeute anti-flics et le dénouement façon Roméo et Juliette sur le tarmac. Embarras ponctuels. Jodie Turner-Smith irradie l'écran de sa beauté et de son énergie. Révélé dans Get Out, Daniel Kaluuya est déchirant d'humanité. On s'offrirait bien un poster pour se rappeler à jamais de ce si étrange et si beau couple.

Queen & SlimMelina Matsoukas (Le film est sorti mercredi).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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