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On the Bowery/Come Back Africa

Le dimanche 18 avril 2010, par Laurent Sapir

Lionel Rogosin appartient à l'autre Amérique... Celle des blacklistés, des "undergroundisés" et autres squeezés du système... Au milieu des années 50, il plante sa caméra dans le Bowery, cet quartier du sud de Manhattan qui avait autrefois des airs de Broadway avant de devenir une véritable cour des miracles pour des milliers de SDF... "On the Bowery", exhumé ces jours-ci par Carlotta Films dans un passionnant coffret DVD, sera effectivement une date charnière dans la naissance du cinéma indépendant américain. Rogosin procède comme les néo-réalistes italiens : une petite goutte de fiction dans un océan de documentaire...

Il est vaguement question, dans "On the Bowery", d'un cheminot à bout de ressources qui se clochardise à vitesse grand V, mais l'essentiel est ailleurs : Rogosin filme une symphonie de visages cramés par l'alcool et l'épuisement. Son noir et blanc, aussi finement ciselé qu'un autoportrait de Rembrandt, traque en clair-obscur les derniers relents d'humanité des plus pauvres d'entre les pauvres, tous ces oubliés de l'après-guerre relégués dans les poubelles de l'American way of Life... Certains d'entre eux, en même temps, ont encore la force de sourire ou de s'entraider... C'est pour ça que lorsqu'un présentateur de la télé US demande à Rogosin si ce n'est un peu glauque, son propos, il lui répond: "vous avez vu le film" ?"...

Trois ans après "On the Bowery", Lionel Rogosin part clandestinement a Sofiatown, un ghetto de Johannesburg promis à la destruction, pour signer ce qui sera l'acte de naissance du cinéma anti-Apartheid, "Come Back Africa".... Aux autorités, il déclare qu'il fait un documentaire musical... A l'écran, il en reste de fascinantes séquences où chanteurs et danseurs sud-africains virevoltent dans les rues... La part de fiction est néanmoins plus manifeste que dans "On the Bowery" puisqu'on suit l'odyssée tragique d'un Zoulou qui part à Johannesburg avec plein de rêves dans la tête mais dont l'itinéraire, faute de permis de travail, vire au drame...

Dans la scène-clé du film, où plusieurs intellos blacks refont le monde lors d'une soirée enfumée et arrosée à souhait, voilà que débarque Myriam Makeba qui chante deux morceaux... C'est la première fois qu'on la voit à l'écran, Mama Africa... Rogosin l'aidera ensuite à fuir l'Afrique du Sud, avec dans la foulée la carrière internationale que l'on connait... Lionel Rogosin est mort dans la dèche il y une dizaine d'années.  Quand on voit ses films, on pense bien sûr à John Cassavetes, qui ne cachait pas son admiration envers l'auteur de "On the Bowery", jusqu'à signer "Faces", cet autre chef d'oeuvre ivre mort...

On pense aussi à Agnès Varda qui, dans l'un de ses plus beaux courts-métrages, " L'Opéra mouffe", filmait les déshérités du quartier Mouffetard avec la même lumière que dans le docu qu'elle consacrera, quelques années plus tard, aux Black Panthers... Au coin de la rue ou au-delà des frontières, c'est toujours le même film, finalement,et la même beauté d'âme, celle des Rogosin, des Cassavetes et des Varda, quand la caméra à l'épaule devient conscience du monde...

 "On the Bowery", "Come Back Africa", "Good Times, Wondeful Times", trois films de Lionel Rogosin en salles et en coffret DVD Carlotta Films (Sortie le 21 avril)... Coup de projecteur avec Michael A. Rogosin; le fils de Lionel Rogosin, ce mercredi 21 avril sur TSFJAZZ à 8h30, 11h30 et 16h30

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