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JULIA PERMINOVA

Mystère bouffe et fabulages

Le dimanche 21 février 2010, par Laurent Sapir

Une Madone quelque peu acariâtre, un Roi Mage amateur de Gospel ou encore Jésus transformé en   petit morveux qui ne possède pas forcément dans ses gènes l'art du pardon... On l'aura compris: le catéchisme de l'Italien Dario Fo ne fait pas dans la dentelle. Même topo pour quelques autres saynètes médiévales baptisées "fabulages" et dont la charge paillarde et rabelaisienne résume toute la truculence de ce "Mystère Bouffe" que Dario Fo invente au milieu des années 60.

L'intention du futur Nobel de littérature, à l'époque, c'est de rendre la parole religieuse au peuple en mettant en exergue la figure du "jongleur", ce conteur insolent qui détourne et détricote les fables officielles pour mieux dénoncer, sous le règne du rire, ceux qui s'accaparent le message divin au mépris de tout sens moral...  Révolution par la parole, donc, mais aussi théâtre en mouvement...

Souvent remanié et ré-improvisé au fil des années, "Mystère Bouffe" sera notamment joué devant les grévistes  de chez Lip dans les années 70. Autant dire que son irruption dans la vénérable salle Richelieu de la Comédie-Française paraît un peu incongrue, à première vue. D'autant plus que l'ensemble prend très vite l'allure d'une série de one man show où un comédien, sur un plateau vide,  décline son texte à mains nues...  C'est dans les intermèdes entre chaque prise de parole que la variété scénographique est au rendez-vous, à travers une reconstitution délirante de la crucifixion de Jésus, avec des Romains bien maladroits dans l'art de faire monter au ciel le fils de Dieu.

Pour le public heureusement, cette soirée n'a rien d'un chemin de croix... Il est vrai qu'il y a bien longtemps qu'on n'avait pas autant ri à la Comédie-Française, malgré une 2ème partie de spectacle un peu moins inventive... Les comédiens, eux, sont pour la plupart au sommet de leur art... Hervé Pierre est impayable dans sa façon de raconter l'enfance de Jésus, Christian Hecq est à hurler de rire dans la peau d'un pape immonde qui a pour habitude de châtier les moines en leur clouant la langue sur les portes des maisons. Il joue à la fois le pape immonde et le moine cloué, et c'est renversant de jubilation.

Catherine Hiegel, enfin, doyenne de la Comédie-Française, apporte une touche plus émouvante dans le personnage d'une mère qui tient dans ses bras un agneau au moment du massacre des Innocents par le roi Hérode... On est d'autant plus touché par sa performance qu'elle sera mise d'office à la retraite... Rendons au moins justice à Murielle Mayette, metteur en scène de la pièce et administratrice de la Comédie-Française, d'avoir tenté, en vain, de conjurer cette injustice qui pourrait nous apparaître comme un mystère de plus dans cette pièce haute en couleurs, même si celui-là est beaucoup moins rigolo que l'esprit farceur et rebelle de Dario Fo

Mystère bouffe et fabulages, de Dario Fo, Comédie Française/salle Richelieu (jusqu'au 19 juin)

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