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Memoria

Le mardi 16 novembre 2021, par Laurent Sapir
Ondes sonores et plans contemplatifs au programme de "Memoria", la nouvelle rêverie d'Apitchapong Weerasethakul, avec Tilda Swinton sur la trace d'un bruit mystérieux en Colombie. Auréolé d'un prix du Jury à Cannes, le réalisateur de "Oncle Boonmee" reste fidèle à ses lubies...

Hantée par une mystérieuse détonation comparable à "une boule de béton qui tombe dans un puits de métal entouré d'eau de mer ", une herboriste écossaise échouée à Bogota fait appel à un jeune ingénieur du son pour en restituer l'exactitude. Ainsi débute la nouvelle odyssée d'Apichatpong Weerasethakul, ce cinéaste thaïlandais que Tim Burton, alors président du jury à Cannes, avait révélé au monde entier il y a onze ans en lui attribuant la palme d'or pour l'étrange et saugrenu Oncle Boonmee.

Quelques cinq ans plus tard, Cemetery of Splendour nous emportait davantage avec ses patients-soldats atteints d'une inexplicable maladie du sommeil sans pour autant dépasser son statut d'œuvre contemplative. Au gré d'une esthétique de l'altérité empruntant parfois au fantastique et s'avérant plus hallucinée que réellement hallucinante, Weerasethakul s'imposait davantage comme un ambianceur et un plasticien.  Le détour en Colombie ne modifie guère la donne malgré le renfort de Tilda Swinton en étrangère au monde, telle une page blanche se remplissant peu à peu en fonction des lubies du réalisateur thaïlandais.

Les sinuosités du scénario, comme en écho à une sinusoïdale de pics sonores, motif-clé du récit, emmènent ainsi le spectateur dans des chemins de plus en plus hasardeux. Tilda Swinton perd soudain de vue son ingénieur du son préféré dont plus personne ne se rappelle de l'existence. Après sa rencontre avec une archéologue (Jeanne Balibar, de passage...), elle finira par le retrouver vieilli de trente ans, non plus dans l'univers livide et bétonné de Bogota mais au fin fond d'un village montagneux où notre bonhomme, qui semble venir d'une autre planète, écaille des poissons au bord d'un ruisseau.

S'ensuit entre ces deux-là une communion tactile et acoustique qui a fait entrer en transe certains festivaliers cannois. La capsule spatiale s'élevant au-dessus d'une forêt dans l'ultime zigzag du récit a dû tout autant les faire décoller. On retiendra surtout, pour notre part, le décalage entre le caractère abscons du propos et la magnificence clinique de certains plans, à l'instar de cette scène d'ouverture où la valeureuse Tilda, perturbée par ce fameux "Bang ! " qui viendra ponctuer son périple à plusieurs reprises, se déplace dans le noir sans que le spectateur ne parvienne à repérer la direction de sa marche, un miroir adjacent rendant ses mouvements encore plus vertigineux. De quoi capter notre attention d'entrée de jeu, à défaut de la combler.

Memoria, Apichatpong Weerasethakul, prix du Jury à Cannes (sortie ce mercredi 17 novembre)

 

 

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