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Les Plages d'Agnès

Le dimanche 07 décembre 2008, par Laurent Sapir


On va chez Agnès Varda comme on va en pèlerinage. On sait ce qu'on veut y trouver, ou plutôt ce qu'on y REtrouver. On n'est pas là pour fuguer ou pour le grand saut dans l'inconnu. Non, on est là pour se réchauffer. Et aussi pour se désaltérer. Cela fait longtemps qu'on a signé le contrat, mais on en connait les termes par coeur: poésie, fantaisie, intelligence, jeu, mélancolie... C'est tout cela qu'on espère encore une fois glaner lorsqu'on va voir Les Plages d'Agnès. Et on ressort comblé, reposé, enjoué, rêveur, ému.

Terrain de connaissance. De reconnaissance, surtout... Et de la reconnaissance, on ne peut qu'en avoir envers cette grande dame du cinéma français qui, à l'aube de ses "80 balais", comme elle dit, fait preuve d'une jeunesse d'esprit et d'une sensibilité d'exception qui vont de pair avec une magistrale maîtrise de son art. C'est elle, cette fois-ci, le sujet du film : Agnès V par Agnès V. Autoportrait-collage, rythmé par toutes les plages où elle s'est posée, au fil de la vie:  plages belges de son enfance, Pointe courte à Sète où elle devait diriger pour son premier film Philippe Noiret et Sylvia Monfort, rives californiennes, plage de Noirmoutier...

C'est là, sur toutes ces plages, qu'elle a scruté et réinventé ses horizons, Agnès Varda. C'est là, entre ciel et mer, qu'elle s'est pensée "Nouvelle vague" jusqu'à la fin des temps, égérie d'une cinéphilie d'aventuriers sous  le regard complice de Jean-Luc Godard. C'est là, en bord de mer, qu'elle a trouvé cette sublime capacité à savoir tourner la "plage", depuis l'épopée du TNP, en Avignon, lorsqu'elle photographiait Gérard Philipe et Jean Vilar, jusqu'aux élans féministes des années 70, en passant par Cuba, les Blacks Panthers, Jim Morrison...

Elle filme tout ça avec une fluidité extraordinaire, créant une multitude de dispositifs qui produisent un effet "jeu de l'oie". Elle marche à reculons, mais toujours devant la caméra. Elle filme des miroirs, mais en prenant bien soin de ne pas trop s'y refléter. Sa mémoire est un grenier à trésors, un marché aux puces où le regard, bercé par le kaléidoscope ambiant, est soudainement accroché par un sentiment, un gag, une rencontre, ça zigzague de partout, ça part quelque part, ça revient ailleurs. Agnès convoque des trapézistes, elle construit une baleine et se met dedans, elle file en barque, sous la Tour Eiffel, elle ensable sa rue Daguerre, en plein coeur de Paris... Et nous, on a aucun mal à la suivre, on a l'impression de le lire, ce film, on a l'impression que c'est de la prose, toutes ses séquences qui s'assemblent en points de suspension dans la pudeur, la fête et le spleen.

Il y a effectivement un spleen d'Agnès, aussi lancinant que chez Baudelaire. Jacques Demy aussi était un poète. Pour la première fois, publiquement, elle donne un nom à ce qui les a définitivement séparés, tous les deux... C'est le seul moment du film où on n'est plus en terrain connu. Ça glace un peu, les repères tourneboulent. On se raccroche à un autre souvenir de cinéma, il y a longtemps, quand Mathieu Demy foudroyait littéralement l'écran dans Jeanne et le garçon formidable... Remonter le temps, finalement, n'est pas un jeu toujours innocent. C'est peut-être aussi pour ça qu'elle marche à reculons, Agnès, regard caméra, mais qu'elle se rassure: même ébranlé, on est là, on ne la lâche pas, on l'accompagne. Oui, peut-être que Les Plages d'Agnès est le plus beau film de compagnie de l'année.

Les Plages d'Agnès, Agnès Varda. Sortie en salles le 17 décembre. Coup de projecteur la veille, le 16, à 8h30, 11h30 et 16h30

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