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BORN TO TROUBLE
BRAD MEHLDAU

Les Éternels

Le lundi 25 février 2019, par Laurent Sapir
Romanesque à souhait mais sans une ombre de pathos, le nouveau film de Jia Zangke, "Les Éternels", inscrit un amour défait dans les mutations de la Chine contemporaine. Un moment de cinéma fabuleux.

On se croirait chez Scorsese. Gangsters et néons, fiestas et violences, esprit de corps et trahisons... Les nuits de Datong, ville minière du nord de la Chine promise à tous les déclins, abritent au début des années 2000 la romance bravache et pas encore cabossée de Bin et Qiao. Il règne, elle pétille. Il joue au petit caïd narquois, elle sait tout autant se faire respecter, jusqu'à sortir un flingue lorsque son homme est à la merci d'un gang rival. Il est temps, alors, pour Jia Zhangke, d'abandonner Scorsese pour amener ses Eternels vers d'autres sommets.

Pas forcément au fait de toutes les richesses du cinéma asiatique, le nom de ce réalisateur ne nous était cependant pas inconnu. Surtout depuis A Touch of Sin, mosaïque rouge-sang éclaboussant le capitalisme débridé à la chinoise de tous ses gâchis humains à travers quatre régions différentes du pays. Même amplitude géographique, ici, doublée d'une chronologie étale puisque nous retrouvons Qiao, la rebelle qui dégainait trop vite, au début des années 2010. Elle sort de prison. Bin, qu'elle n'a pas voulu dénoncer, ne lui a manifesté aucun signe de vie. Un bleu hivernal entoure sa solitude, aux antipodes des néons rouges de la première partie du film.

À la recherche de son mafieux d'amant, elle le retrouve 7700 km plus loin, fiancé et converti dans l'industrie au cœur des Trois Gorges, cette région où un projet de barrage menace d'engloutir des vies entières. Quand la Chine s'éveillera, disait-on autrefois... Sauf qu'entre Bin et Qiao, c'est l'extinction des feux qui se profile dans une chambre d'hôtel infusée de tristesse et de lumière verte à la Vertigo (Beau travail encore une fois d'Éric Gautier, chef opérateur renommé...), le tout dans une ambiance dépouillée qui nous étreint l'âme.

Nouvelle ellipse. 2018, à présent. Qiao a tenté d'autres ailleurs. Elle a même failli suivre un brave voyageur rêvant de développer un site touristique dédié aux ovnis, mais c'est à un mouvement tragiquement (ou sereinement) plus terrien auquel nous invite Jia Zhangke après avoir marié tous les éléments: la neige, le vent, la pluie... Retour à Datong, où les mineurs ont perdu leur travail, où Qiao a repris le tripot d'autrefois, où surgit à nouveau l'ex-amant d'autrefois, méconnaissable, alcoolisé, cloué dans un fauteuil roulant. Au pied d'un volcan où Bin lui avait appris autrefois à tirer au pistolet, elle l'aide à se lever. L'aime-t-elle encore ?

Filmer comme Scorsese et s'en éloigner. Filmer un amour défait sans une molécule de pathos. Filmer l'actrice qu'on aime et avec laquelle on vit (Zhao Tao, incandescente à chaque plan...) à rebours de toute érotisation ou autre procédé qui viendrait ternir sa vitalité. Le vrai "miracle chinois", c'est bel et bien Jia Zhangke.

Les Éternels, Jia Zhangke, sélection officielle Cannes 2018, sortie en salles ce 27 février. Coup de projecteur, jeudi, sur TSFJAZZ, avec le chef opérateur du film, Éric Gautier.

 

 

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