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Le Traître

Le mardi 29 octobre 2019, par Laurent Sapir
Oublier Palerme ? Francesco Rosi aurait été très fier de ce fulgurant portrait d'un célèbre repenti de la Cosa Nostra. Marco Bellocchio est bien le dernier géant du cinéma italien.

La "rageuse sérénité" de Marco Bellocchio, selon la formule si juste du critique Jacques Mandelbaum, trouve dans Le Traître une assomption époustouflante. Son premier coup d'éclat, Les Poings dans les poches, en 1965, témoignait déjà de cette radicalité en sourdine, pas forcément avare d'expressionnisme mais sans jamais tomber dans l'esbroufe.

Dernière cible en date du maestro italien, la mafia sicilienne, celle qui trucide salement, baigne dans l'héroïne et traficote avec les politiques façon Andreotti. Rien à voir avec Le Parrain et autres requiems à la Scorsese. En brossant la trajectoire du repenti Tommaso Buscetta, ennemi juré de Toto Riina, Bellocchio ne cède à aucune fascination, surtout pas envers son personnage principal malgré l'interprétation incroyablement charnue de Pierfrancesco Favino.

Pourquoi trahit-il ? La mise en scène laisse savamment l'interrogation en l'état, dépeignant tour à tour Buscetta comme un nostalgique de l'ancien temps, un opportuniste brutal ou alors un fugitif de l'existence soudainement insensible aux codes qui ont paramétré sa vie. Le "comment trahit-il ?" est davantage exploré. Ça ne se joue pas sur un coup de dés. Ou alors il prendrait la forme d'un paquet de cigarettes déjà ouvert traînant sur le bureau du si intuitif juge Falcone. Trop intuitif pour ses assassins.

Mêlant images d'archives, séquences oniriques et sécheresse virtuose dans la chronique des règlements de comptes égrenés par un compteur et culminant dans une fabrique de miroirs, la mise en scène ne souffre d'aucun temps mort. Les scènes de procès, souvent redoutées cinématographiquement parlant, lui font même franchir un cap décisif. Jeux de regards (ou de non-regards), dramaturgie baroque, parfum de commedia dell'arte dans le comportement à la fois menaçant et bouffon de ces mafiosi en cage... Marco Bellocchio touche alors au grand art.

Il remet surtout à l'honneur un grand cinéma italien clinique, politique au sens noble du terme et d'une intelligence fulgurante au regard de ce qui, ailleurs, est traité dans le registre de la mythologie. On le pensait disparu avec Francesco Rosi, ce cinéma. Il nous reste heureusement Marco Bellocchio, bientôt 80 balais, dernier géant de l'âge d'or. Le Traître ressemble à son chef d'œuvre.

Le Traître, Marco Bellocchio, sortie en salles ce mercredi 30 octobre.

 

 

 

 

 

 

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