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GONE WITH THE WIND
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Le Joli Mai

Le mardi 21 mai 2013, par Laurent Sapir

Parisiens trempés du printemps 2013, courez voir "Le Joli Mai" de Chris Marker qui ressort en salles à la fin du mois ! Vous y découvrirez qu'au mois de mai 62, déjà, la pluie faisait des claquettes et qu'au bistrot du coin ça n'en finissait plus de ronchonner sur ce maudit soleil aux abonnés absents. Mais de son QG de la rue Mouffetard où minaudent quelques chats qui feront plus tard sa légende, Chris Marker va plus loin que ses basses considérations météo. C'est Paris dans ses non-dits, ses rêves, ses frustrations, enfin bref, Paris dans son âme, que le réalisateur de "La Jetée" ausculte avec l'aide d'un grand chef-opérateur, Pierre Lhomme.

Caméra légère à l'appui, le Paname d' il y a un demi-siècle se déplie dés lors dans une symphonie d'interviews menées à l'improviste, de conversations plus ou moins volées et de témoignages sélectionnés en amont. On a l'impression, au départ, d'un inventaire à la Prévert. Un tailleur un peu beauf, des architectes, des artisans, des boursicoteurs... Parigots tête de veau ? Cette mal-logée qui trouve enfin le trois-pièces de ses rêves pour héberger toute sa marmaille dit pourtant autre chose. Et puis il y a ces amoureux du Pont de Neuilly qui se voudraient seuls au monde, comme chez Robert Doisneau, alors que lui va partir à l'armée, dans quelques semaines... En Algérie...

Car c'est aussi cela, le Paris de mai 62. La France sort tout juste de la guerre d'Algérie mais pas encore de l'angoisse ni des vieux démons qu'elle a fait surgir. A contre-courant de l'Histoire avec sa majuscule, le jeune appelé du Pont de Neuilly résume une capitale en mode replay auquel fait écho un Algérien des bidonvilles confronté au racisme. Un peu plus tôt, dans le récit, des images d'archives nous rappellent que Paris est encore lourd, en ce printemps 1962, des morts de Charonne dont les obsèques sont résumées à travers cette phrase d'Yves Montand: "Pour la première fois on put entendre, à midi, un oiseau chanter place de la République"...

Tout, dés lors, se tient, fulgurances et enchevêtrements mêlés, comme dans les plus beaux films de Chris Marker: la voix d'Yves Montand et les gammes du tout jeune Michel Legrand, l'intime et le monde, la mémoire et le présent, la politique et la poésie, un texte de Jean Giroudoux et une référence à Fantomas, un défilé avec le Général de Gaulle et un plan fixe sur une prison.

Le fond de l'air est gris mais déjà un peu rouge (ce sera le titre, plus tard, de l'un des plus grands films de l'histoire du cinéma...) "Qu'est ce qui ne va pas, visages ?", entend-on dans une sorte d'adresse finale que Montand balance aux Parisiens de l'an 62... "Qu'est ce qui vous fait peur, que nous ne voyons pas, et que vous voyez comme les chiens ? Est-ce l'idée que vos plus nobles attitudes sont mortelles ? Les hommes se sont toujours su mortels, ils en ont même tiré des façons inédites de vivre et de chanter. Est-ce parce que la beauté est mortelle, et qu'aimer un être, c'est aimer le passage d'un être?"... Chris Marker est mort le 29 juillet de l'année dernière. Il nous manque toujours très, très, très gravement.

"Le Joli Mai", de Chris Marker et Pierre Lhomme (Restauration et sortie en salles le 29 mai). Coup de projecteur, le même jour, sur TSFJAZZ, avec Pierre Grunstein, l'un des assistants du film.

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