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MON COEUR EST ROUGE
KEITH JARRETT

Le jeune Ahmed

Le lundi 20 mai 2019, par Laurent Sapir
Plus dure sera la chute, mais pas au sens où on pourrait l'entendre, pour l'ado radicalisé des frères Dardenne. Prodigieuse résistance d'une grammaire cinématographique face aux barbaries contemporaines.

Un petit monstre devant la caméra. Il ne paye pas de mine, pourtant, le jeune Ahmed, avec ses lunettes d'intello, son regard emprunt de douceur et ses traits potelés hérités de l'enfance. Le voilà qui tente le Jihad à 13 ans. Un mini-Jihad, plutôt, dans cette bourgade de Belgique où un imam radicalisé lui a mis des saloperies dans la tête à-propos d'une prof de soutien scolaire. C'est une pécheresse, une impure, une mécréante. Elle n'enseigne pas l'arabe comme il faut, et en plus, elle couche avec un Juif.

Qu'on les sent désemparés, les frères Dardenne, face à un itinéraire aussi buté ! Que faire du jeune Ahmed quand il devient, pour ainsi dire, le premier sujet politique, au sens explosif du terme, d'une œuvre surtout habitée jusqu'à présent par la fibre sociale? Et comment traduire dans leur langage, celui du cinéma, ce qui fut leur chagrin et leur colère quand les crapules djihadistes frappèrent l'aéroport de Bruxelles en mars 2016?

La réponse prend la forme d'un trait aussi droit que ciselé. Des visages féminins (la mère, la prof, la petite campagnarde rencontrée dans une ferme surveillée par des éducateurs...) se succèdent pour donner une dernière chance au gamin, pour qu'il enlève ses lunettes, de manière à ce qu'il ne sache plus ce qui est "pur" ou "impur". Sauf qu'Ahmed ne veut rien entendre. Même à son Tartuffe d'imam, il fait peur ! Sa chute est proche, même si chez les Dardenne, elle ne prend pas tout à fait la forme qu'on imaginait. C'est leur manière à eux de travailler les personnages au corps...

Aucun coup de mou, ici, contrairement à l'avant-dernier opus des deux réalisateurs. Pas de psychologisme à la noix non plus, comme dans le dernier Téchiné qui traitait d'un sujet comparable. Beau pari stylistique, également. Aux tonalités sombres que requérait une trame aussi mortifère, Luc et Jean-Pierre Dardenne opposent des couleurs vives, un bleu presque pastel, du soleil et des champs de blé. Angélisme ? Prodigieuse résistance, bien au contraire, d'une grammaire cinématographique tout en flux et en frémissements. L'émotion qu'elle recèle, sublimée par le jeu du jeune Idir Ben Addi, a valeur d'étendard face aux barbaries contemporaines.

Le jeune Ahmed, Luc et Jean-Pierre Dardenne, festival de Cannes 2019. Sortie en salles le 22 mai. Coup de projecteur sur TSFJAZZ, ce mardi, avec les deux réalisateurs (13h30)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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