Direct
I DIDN'T KNOW WHAT TIME IT WAS
CECILE McLORIN SALVANT

La Nuit du 12

Le dimanche 31 juillet 2022, par Laurent Sapir
Buzz de l'été et presse en pâmoison pour le polar féministe bien trop lisse de Dominik Moll, "La Nuit du 12", présenté par certains comme la réponse à "Bac Nord"...

Aspergée d'essence et brûlée vive par un inconnu alors qu'elle rentrait d'une soirée entre copines, une jeune femme libre ne cesse de hanter les enquêteurs qui tentent d'identifier son meurtrier. Hantise non dépourvue d'ambiguïté. La vie sexuelle pour le moins débridée de la victime désoriente les policiers. Ou plutôt, elle les oriente de manière inavouée vers des pensées malsaines: comment se fait-il que cette Clara se soit coltinée des types aussi problématiques, tantôt "bad boy", tantôt dégénérés, l'ego en bandoulière, la violence en sourdine ? Ainsi taraude, tel un féminicide non élucidé, la tentation du "elle l'a bien cherché ".

La force d'un propos, hélas, ne passe pas toujours la rampe. Choyé par une certaine critique depuis son diabolique Harry, un ami qui vous veut du bien (2000), Dominik Moll construit ici un récit finement scénarisé et mis en scène dans l'atmosphère pesante d'une vallée alpestre, mais qui ne parvient jamais à transcender son programme initial. Premier écueil, des dialogues au gros feutre, du genre : "Ce sont tous les hommes qui ont tué Clara. C'est quelque chose qui cloche entre les hommes et les femmes "... Un polar féministe doit-il forcément être à ce point surligné ?

Même frustration au regard de cette jeune femme saisie par le feu lors de cette tragique Nuit du 12 mais dont le "feu intérieur", en quelque sorte, ne fait pas partie du cahier des charges du film. A contrario du magnifique Laëtitia ou la fin des hommes qui permettait à l'écrivain Ivan Jablonka d'exhumer toute l'intensité biographique d'une jeune personne en proie à des masculinités dévoyées, Dominik Moll préfère ausculter les états d'âme de ses enquêteurs. Il croit judicieux d'y mêler leurs difficultés de travail et leur manque de moyens matériels. Ce volet naturaliste du film en brise net les capacités d'envoûtement. C'est comme si on mixait Memories of Murder et Le Petit lieutenant.

Certains symboles plombent encore davantage le propos: le chat noir (normal, pour un crime nocturne), l'enquêteur qui pédale la nuit dans un vélodrome (le flic qui tourne en rond au cas où vous n'auriez pas compris), la photo d'une gentiane (quelques pétales dans un monde de brutes) que le coéquippier bourru campé par Bouli Lanners envoie à son désormais ex-collègue... Que tout cela est  appuyé comme l'est aussi, d'ailleurs, la diction douceâtre, articulée et compassée de Bastien Bouillon, qui joue le chef de la brigade.

Difficile de ne pas penser à ce qu'un grand réalisateur américain (ou sud-coréen) aurait fait d'un tel scénario. De fait, La Nuit du 12 suinte la bienséance propre à un certain cinéma français. Son jeu d'équilibre entre thriller sans coupable et doxa dans l'air du temps (jusqu'à cette scène édifiante où ce malotru de Bouli Lanners est initié à la position assise lorsqu'il urine, de manière à "ne pas en mettre partout "...) freine tout débordement, tout changement de braquet pour en rester à l'image du vélodrome. On a même lu ici ou là que dans le genre polar, ce film serait une réponse à la fois cinématographique et politique au si impétueux Bac Nord de Cédric Jimenez. "Amen", dira certainement l'Académie des César...

La Nuit du 12, Dominik Moll (le film est en salles depuis le 13 juillet)

 

 

Partager l'article
Les dernières actus du Jazz blog