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BENNY GOLSON / CURTIS FULLER

La mort de Louis XIV

Le mardi 01 novembre 2016, par Laurent Sapir

On avait fort mal digéré, en 2013, le pensum du réalisateur catalan Albert Serra sur le mythe de Casanova relié à celui de Dracula. Le film avait pour titre Histoire de ma mort. On préfère nettement celle, plus ramassée et moins bavarde, de Louis XIV. Surtout quand elle est incarnée par l'acteur-ADN de la Nouvelle Vague, "Léaud The Last", figure à la fois si fantasque et si proche à laquelle se sont identifiées des générations de cinéphiles.

Ce corps gangréné, liquéfié et momifié sous rubans et perruque, ce regard distrait, cette parcimonie des gestes et des expressions, mais aussi cette façon de s'offrir à la caméra à l'aune d'un dépérissement filmé au scalpel... C'est donc cela, Jean-Pierre Léaud. Plus que le requiem d'un certain âge d'or du 7e art, sa composition en marque d'abord l'éternelle vitalité, avec à nouveau cette folie plus au moins douce qui, au gré des saisons, a pris une tonalité spartiate. Vitalité ? Le mot peut surprendre lorsqu'il s'agit de filmer l'agonie d'un monarque dont aucun médecin n'ose amputer la jambe purulente. Et pourtant, chaque plan dans ce huis-clos alité, chaque mouvement de l'acteur en majesté (y compris dans l'immobilité absolue qui, chez Léaud, reste une forme de mouvement...), témoignent d'une ardeur cinématographique inouïe. C'est d'abord l'assomption picturale qui stupéfie le spectateur, ce rouge-nuit crépusculaire dédié aux derniers feux du Roi-Soleil. 

Le mélange, ensuite, de cérémonial et d'organique... La jambe de Louis XIV noircit, sa langue se dessèche, plus rien ne passe dans le royal gosier -pas même une cuillerée de gelée- si ce n'est un long râle imbibé de sueur. La pompe versaillaise ne cède pas, pourtant, devant la décrépitude corporelle. Valets, courtisans et médecins continuent à deviser avec ce phrasé obséquieux et onctueux dont la direction d'acteurs exalte la musicalité intrinsèque. La toile de maître est d'autant plus achevée qu'on en perçoit les fissures. Les paroles du mourant "de droit divin" se perdent ainsi, peu à peu, dans l'inaudible, le balbutiement et le renoncement.

Fissures, également, d'une fin de règne marquée par de graves crises économiques. Un contexte socio-politique qui tente en vain de s'incruster dans le film... Louis XIV ne parvient plus à présider un Conseil des ministres. Il reçoit en audience, mais sans vraiment l'écouter, un officier qui demande plus d'argent pour renforcer les défenses côtières. Plus aucune fortification, à vrai dire, ne tient la route dans cette mise à nu du pouvoir absolu et dans le spectacle pathétique d'un monarque autrefois si conquérant dans La Prise de pouvoir de Louis XIV façon Roberto Rossellini. De quoi augurer d'une autre période. Alors que le roi assoiffé demande de l'eau en pleine nuit, un valet prend tout son temps pour lui apporter un verre. "Non, un verre en cristal !", hurle le couronné maladif... Quand il passe de vie à trépas, Fagon, son principal médecin, lâche : "Messieurs, nous ferons mieux la prochaine fois". La sentence tombe comme un couperet de guillotine.

La Mort de Louis XIV, Albert Serra, Prix Jean-Vigo 2016 (Sortie en salles le 2 novembre). Coup de projecteur sur TSFJAZZ, le même jour (13h30), avec le réalisateur.

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