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SERGE GAINSBOURG / ALAIN GORAGUER

La Luna

Le lundi 21 avril 2008, par Laurent Sapir

Elle n'en finit plus de trotter, La Luna... Elle trotte à l'esprit, comme tous ces films cramponnés à une rage de cinéma qui fait passer tout ce qu' ils peuvent avoir par ailleurs de boursouflé.

En sortant en DVD ces jours-ci La Luna réalisé par Bernardo Bertolucci en 1979, Opening, prolifique éditeur dont le seul catalogue suffit à composer une dévéthèque idéale, nous rappelle ce que fut l'auteur de "Dernier Tango à Paris", "Le Conformiste", et "1900" avant qu' il ne se liquéfie dans le coulis dégoulinant et pompeux d'un exotisme des plus indigestes ("Le Dernier Empereur", "Un Thé au Sahara", "Little Buddha") ...

Quand il s'attaque à La Luna, Bertolucci sort tout juste de "l'adolescence", pour reprendre le mot de l'ancien ponte des Cahiers du Cinéma, Jean Narboni. Avec 1900, il a été à fond la caisse dans les péplums modernes, rouge sexe, pulvérisant le mur du son du lyrisme cinématographique en filmant la lutte des classes en cinémascope, avec en bonus un casting d' anthologie, de Burt Lancaster à Dominique Sanda, en passant par De Niro, Depardieu, Stéfania Sandrelli, Laura Betti et le définitif Donald Sutherland...

Jusque là, son oeuvre s'est conçue comme une recherche du (des) père (s)... Avec La Luna au contraire, apparaît la question de la mère... Elle a ici les traits d'une comédienne accomplie, Jill Clayburgh. La séquence de départ, filmée dans des couleurs vives et édéniques, nous la montre insouciante, dans une belle villa italienne au bord de la mer. Elle suce le miel qui coule au bras de son bébé, avant de danser un twist endiablé avec le père du gosse, au grand désespoir de l'enfant...On retrouve la mère et son fils 15 ans plus tard. Elle est chanteuse d'opéra, il est junkie... Le père n'est plus là... Le film vire alors très hard, carrément inceste même... Et on retrouve la scène du départ, sauf que la mère ne suce plus le miel mais la trace de seringue au bras de son ado de fils...

La Luna fourmille ainsi de scènes plus givrées les unes que les autres. Bertolucci imprime à son mélo un rythme chaotique, mais où chaque plan se met à pulser de façon déchaînée. L'Italie est filmée comme un pays du Moyen-Orient, les coulisses d'un opéra se révèlent comme le déclencheur d'un processus mortifère, on est en pleine fin des seventies, les illusions de la décennie précédente sont déjà enterrées... Rien ne swingue merveilleusement dans ce film cramponné à la musique de Verdi, et en même temps il y a dans La Luna un art du syncopé qui nous électrifie en permanence.

A l'époque, la critique poussa des hurlements face à ce qu'elle considérait comme un bazar freudien. Qu'il était VIVANT, pourtant, Bernardo Bertolucci, à cette époque ! La dernière partie du film, marquée par le "retour" du père, ferme délicieusement la boucle, même si les personnages continuent à être filmés en plans séparés. On garde alors de La Luna un souvenir pleine lune effectivement... Le souvenir d'un film de chair et d'interdits, constamment en danger, exténuant à bien des égards, et définitivement beau à pleurer, comme un poème torride baigné de sang et de lumière.

La Luna et La Tragédie d'un homme ridicule, de Bernardo Bertolucci/coffret DVD (Opening)

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