À Montréal, où TSFJazz aura vibré festival pendant toute une semaine, il nous a rendu une visite bien sympathique. On avait bien sûr en tête, en invitant Dany Laferrière, son célèbre "Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer", chronique joyeuse et swinguée d'une certaine dolce vita afro-montréalaise... Au micro de TSFJAZZ, l'auteur haïtien nous en a rendu tout l'esprit, notamment en comparant le festival fondé par André Ménard à une sorte de "saison nègre " ensoleillée où lui et ses amis, autrefois, pouvaient "pêcher " en toute liberté dans la gente féminine entre deux concerts de jazz.
Changement de décor avec "L' énigme du retour", qui sera assurément l'un des grands temps forts de la rentrée littéraire. "La nouvelle coupe la nuit en deux. L'appel téléphonique fatal que tout homme d'âge mûr reçoit un jour. mon père vient de mourir"... Dés les premiers mots, le récit de Dany Laferrière s'ancre dans une densité d'autant plus fascinante qu'elle se déploie en vers libres, un peu sur le mode haïku.
La première partie évoque Montréal que le narrateur se résout à quitter pour revenir dans son île natale, dont il fut exilé, lui aussi, comme son père qu'il n'a pratiquement pas connu... Ce père qu'il enterre à Manhattan et qui lui laisse comme seul legs une mystérieuse valise dont le code secret ne sera jamais percé... Mais l'essentiel du récit, c'est le périple en Haïti, pour annoncer la mort du père au reste de la famille et pour tenter surtout de retrouver, avec plus au moins de succès, les effluves tropicales passées... Mais il est un peu comme Césaire lors de son retour aux Antilles, Dany Laferrière. Confronté à "une foule criarde passée si étonnamment à côté de son cri", il observe Port-au-Prince livrée à toutes sortes de dégradations -la faim, la violence, le bruit pétaradant des klaxons et des motos- qu'il relève sans aigreur, dans une sorte de détachement rêveur...
"Ici, on vit d'injustice et d'eau fraîche", écrit-il à la vue d'une petite fille grimpant une montagne un seau d'eau sur la tête... Mais si la mort est un "archer aveugle " au milieu d'une démographie galopante, Haïti réserve encore bien des trésors dont Dany Laferrière, finalement résolu à être un étranger dans sa terre natale, parvient à s'imprégner... "J'ai senti, écrit-il vers la fin du récit, que j'étais un homme perdu pour le Nord quand dans cette mer chaude, sous ce crépuscule rose, le temps est subitement devenu liquide"... Il y a de quoi s'abreuver, effectivement, dans ce retour d'exil dont la prose charmeuse, luxuriante et apaisée, aux antipodes d'une nostalgie convenue, réveillera chez le lecteur épris de voyages un exquis parfum d'envoûtement...
"L'énigme du retour", de Dany Laferrière (Editions Grasset) Sortie en librairie le 2 septembre