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Joker

Le samedi 05 octobre 2019, par Laurent Sapir
Anatomie d'un rire. Avec ses clowns maléfiques, son jazz sardonique en guise de B.O, son New-York qui crame et cette polyphonie de la démence à laquelle Joaquin Phoenix prête tout son génie, le "Joker" de Todd Phillips vibre de bien des éclats.

Lion d'or à la Mostra de Venise, Joker, du pourtant peu réputé Todd Phillips (on lui doit notamment le trivial Very Bad Trip...), rugit en sensations fortes et feux d'artifice de la part de son acteur principal. Ces critères, on le sait, ont souvent indisposé une certaine cinéphilie toujours soupçonneuse de son propre plaisir lorsqu'une vraie rage de cinéma crève l'écran. Si vous dites d'un film que c'est une "tuerie", elle y voit un crime. Cette odyssée de super-vilain n'est pas faite pour elle. 

Ceux qui, en revanche, n'ont jamais approché de près ou de loin la saga Batman auraient tort de bouder cette plongée dans le passé de l'ennemi juré de Bruce Wayne. Seules importent, ici, la généalogie et l'anatomie d'un rire dont ce cabotin de Jack Nicholson avait assuré la postérité dans le même rôle. À vrai dire, c'est plutôt à un autre Nicholson, celui de Shining, auquel renvoie le jeu de Joaquin Phoenix, acteur-orchestre d'une polyphonie de la démence qu'accentue une B.O riche en décalages mordants: Temptation Rag façon Claude BollingSmile avec le timbre épicé du trop méconnu Jimmy Durante, That's Life et Send in The Clowns d'un certain Frank Sinatra...

Clowns au pluriel, effectivement. Pas seulement ce pitre grimé en auguste et aux rires incontrôlés qui imite les pas de danse de Fred Astaire pour oublier son statut d'humilié. Pas seulement cette tête de turc sous médocs qui s'enferme dans un frigo lorsqu'un New-York trop violemment seventies le fait suffoquer au milieu des rats et des éboueurs en grève. Pas seulement cet inquiétant "Joyeux" (ainsi l'a surnommé sa folle de mère...) qui se rêve comédien de stand-up dans le célèbre show TV de Murray Franklin, incarné ici par un Robert De Niro enfin à la hauteur de sa légende...

Les clowns maléfiques, c'est ainsi, ont la capacité de se multiplier. Surtout quand leur "héros" zigouille trois harceleurs de Wall Street dans une scène de métro qu'on devrait enseigner dans toutes les écoles de cinéma. Notre loup aussi solitaire que le Travis Bickle de Taxi Driver  (De Niro, encore lui, a du apprécier le clin d'œil...) devient alors le héros d'une nouvelle lutte des classes, et la ville se met à cramer dans un sourire de sang, celui qu'un Joker aussi pathétique qu'enragé s'est peint en se regardant dans un miroir.

Bluffante de créativité, et pas seulement dans sa dimension scorsesienne, la mise en scène est à la hauteur de ce climax. Elle déjoue également avec habileté le contrat qui lie le spectateur à un personnage qui rêve ou cauchemarde un peu trop dans sa tête. Vit-il vraiment ce qui est montré à l'écran ? Comment faire la part entre réel et fantasmes ? La tonalité politique du récit, du coup, se déplie sur plusieurs niveaux même si on perçoit bien la volonté, chez Todd Phillips, de renverser les rôles au regard des comic-books d'antan gorgés de héros patriotiques. Quoiqu'il en soit, le réalisateur fait preuve d'une rare maestria artistique dans la connexion entre cinéma populaire et film d'auteur. Avec un tel "joker", Hollywood peut continuer à rêver à des lendemains qui chantent.

Joker, Todd Phillips, Lion d'or à la Mostra de Venise, sortie en salles ce 9 octobre. Coup de projecteur sur TSFJAZZ le même jour (13h30), avec Thierry Chèze, journaliste à Première. 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

  

 

 

 

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