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Jean-Louis Trintignant ou la douceur carnivore...

Le vendredi 17 juin 2022, par Laurent Sapir
D'abord une douceur fleur bleue, puis de plus en plus ambigüe et vénéneuse, avant que Jean-Louis Trintignant ne finisse par préférer la compagnie des arbres. Hommage à cet immense comédien qui vient de s'éteindre à l'âge de 91 ans.

Crédits photo: Getty - Mondadori Portfolio

Ce velours inquiet dans la voix, l'ambiguïté, l'étrangeté, la fausse douceur, mais aussi ce mélange d'humilité et de dignité dans la "vraie" vie, parfois bien plus cruelle que ce qui advient à l'écran... Comment ne pas manifester une immense tristesse à l'annonce du décès de Jean-Louis Trintignant, ce comédien rare et puissant qui préférait la compagnie des arbres, des poètes et des musiciens ?

La rencontre amoureuse avec Brigitte Bardot dans Et Dieu créa la femme le propulse vers la gloire, sauf qu'il appuie tout de suite sur la pédale de frein. Ce personnage fleur bleue, ce n'est pas lui, même s'il incarnera à merveille l'esprit "chabadabada" de Claude Lelouch dans Un Homme et une femme. Le jeune premier préfère l'insoumission, surtout en pleine Guerre d'Algérie. Il a alors ce don d'interpréter tout le contraire de ce qu'il est politiquement: le militant d'extrême-droite filmé par Alain Cavalier dans Le Combat sur l'île, et surtout le fasciste tout en glaciale apesanteur du Conformiste, le chef d'œuvre de Bertolucci. Son rôle le plus marquant avec celui de l'amoureux catho et introverti de Françoise Fabian dans Ma Nuit chez Maud, d'Éric Rohmer.

D'autres grands souvenirs, encore... Le petit juge et ses lunettes noires dans Z, le déchirant protagoniste du Train aux côtés d'une Romy Schneider encore plus bouleversante... Il loupe étrangement la case Claude Sautet, mais François Truffaut le rattrape in extremis dans ce qui sera l'ultime opus du cinéaste, le savoureux Vivement dimanche ! Dans Amour, son dernier grand rôle au cinéma sous la direction de Michael Haneke, la maladive Emmanuelle Riva lui lance: "Tu es un monstre, mais tu es gentil ". Tout est dit.

Car c'est bien là tout le génie de ce jeu d'acteur: l'art de cacher son jeu, justement, et d'enrober dans une diction ciselée une profondeur sous-jacente allant dans plusieurs directions: douceur carnivore du félin prêt à bondir, perversité enjôleuse à laquelle un sacré pouvoir de séduction donne mille et un reflets, folie camouflée faisant écho à un artiste qui ne s'est jamais fait de cadeaux ("J'ai passé ma vie à me détruire ", disait-il dans un récent documentaire d'Yves Jeuland et Lucie Cariès qu'on ne peut malheureusement plus voir en replay sur Arte...), passion aveugle qui tente jusqu'au bout de se retenir... Se retenir, oui, et surtout tenir quand le destin vient fracasser le père à qui sa fille est brutalement enlevée.

Il lui restait Prévert, Desnos, Apollinaire et Boris Vian. Une récitation ? Non, un récital. L'accordéon de Daniel Mille accompagnait sur scène son ultime transfiguration malgré la mélancolie noyée de chagrin. Sa voix se fit entendre un matin dans l'émission Si Bémol et Fadaise de Pierre Bouteiller sur TSFJAZZ. C'était beau, noble et poignant. Au Théâtre de la Porte Saint-Martin, à Paris, où je l'avais rencontré un soir juste après un show télévisé d'Emmanuel Macron particulièrement indigeste, il m'avait expliqué que les vrais acteurs évitent d'en faire des tonnes. Un long silence tout en swing, façon Miles Davis, avait suivi.

Jean-Louis Trintignant (11 décembre 1930-17 juin 2022)

 

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