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J'accuse

Le mardi 12 novembre 2019, par Laurent Sapir
Avec "J'accuse", Roman Polanski revisite l'affaire Dreyfus sur le mode thriller. Une relecture plus juste, plus ambitieuse et moins académique eut été préférable, même si le cinéaste n'était peut-être pas le mieux placé pour la déployer.

Aux dépens d'un film finalement sans âme, sans saveur, sans panache et sans émotion, le procès en instrumentalisation fait à Roman Polanski concentre toute l'attention du spectateur. Son J'accuse est-il un plaidoyer pro domo au regard de son "autre" actualité ? Certaines déclarations du cinéaste, rectifiées depuis, ont pu nourrir cette interprétation. Le sort qu'il réserve au personnage de Dreyfus invite cependant à plus de nuances.

Car avant même d'être déporté sur l'île du Diable en Guyane, Dreyfus ne sert ici que de faire-valoir. Le héros, c'est Picquart, ce lieutenant-colonel déterminé, malgré ses collègues et supérieurs, à innocenter le capitaine juif injustement accusé d'espionnage. Dreyfus, lui, n'est que tremblements courroucés, susceptibilité déplacée et carriérisme froissé, comme le suggèrent certaines scènes. Louis Garrel ne produit guère d'efforts pour le rendre poignant tandis que dans la peau de Picquart, Jean Dujardin est comme un poisson dans l'eau avec son personnage de justicier solitaire.

De quoi rendre plus complexe que prévu l'équation que certains reprochent à Polanski alors qu'il fait l'objet d'une nouvelle accusation de viol. Quelques ambiguïtés demeurent, pourtant... Parfaitement inutile a priori, le personnage de la maîtresse de Picquart prend tout sens lorsque c'est Emmanuelle Seigner, l'épouse de Polanski dans la vie, qui l'interprète. Quand son amant lui demande pardon pour l'avoir embarqué dans cette affaire et qu'elle lui répond qu'elle s'y est elle-même laissée entraîner, le malaise n'est pas loin.

Même trouble quant à la façon dont est complètement occultée la dimension collective de la défense de Dreyfus. Le cinéaste dépeint sans concessions le climat antisémite de l'époque, sauf que la France était aussi coupée en deux. Même si ce fut conflictuel, notamment à gauche, il y eut un mouvement de masse pour que la vérité éclate et L'Aurore de Clémenceau était tout sauf une feuille de chou. Dreyfus éternellement seul contre tous, vraiment, comme le serait aujourd'hui Polanski ?

On peut aussi penser, et avec plus de certitudes, que d'autres critères ont joué pour que le réalisateur de Cul-de-sac se laisse ainsi aspirer par la veine thriller du roman de Robert Harris qu'il adapte à l'écran. Sa mise en scène, on le sait, a toujours excellé dans les climats oppressifs, et Dujardin en "lonesome cowboy", c'est bien plus vendeur qu'un discours de Zola. Il est regrettable, à-ce-propos, qu' un tel parti-pris, à première vue si efficace, se déploie avec tant de raideur et d'académisme, le tout étant assaisonné d'un fastidieux name-dropping par rapport aux têtes plus ou moins connues qui défilent à l'écran.

J'accuse, Roman Polanski, sortie en salles ce mercredi.

 

 

 

 

 

 

 

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