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NINA SIMONE

Hollywood menteur

Le lundi 24 juin 2019, par Laurent Sapir
Dans "Hollywood menteur" où il revisite l'épopée-culte du film "The Misfits", Luz dessine une fois de plus des désaxés, des soleils qui s'éteignent, des survivants... Sa Marilyn retrouve enfin le droit à la colère.

The Misfits, dernières séances. Devant la caméra de John Huston, en 1961, et sous le regard impuissant de Marilyn Monroe, les derniers mustangs  sauvages que Clark Gable et Montgomery Clift pourchassent dans le désert du Nevada finissent en viande pour chiens. Tournage chaotique, noir et blanc livide, crépuscule de western cisaillé par le destin tragique de ses trois vedettes: Clark Gable meurt deux semaines seulement après le clap de fin, Marilyn avale ses derniers cachets quelques mois plus tard alors que Montgomery Clift n'est plus qu'un mort-vivant en sursis depuis l'accident qui l'a défiguré cinq ans auparavant.

Mythiques Misfits qui ne cessent de fasciner, de génération en génération. Dernier fan en date, Luz, le survivant de Charlie Hebdo, celui qui dessinait Mahomet avec le surtitre "Tout est pardonné"... A-t-il autre chose à l'esprit en dessinant des soleils qui s'éteignent et Marilyn en colère? Le titre en français de The Misfits, "Les Désaxés", le laisse en tout cas bien rêveur au micro de TSFJAZZ: "Les Misfits, c'est ceux qui ne marchent pas ensemble, qui ne sont pas assemblables alors que désaxé, c'est plus individuel. Je suis les deux: j'essaie de retrouver mon axe, et j'ai perdu mon collectif, ma manière d'être rassemblé à d'autres".

Son Hollywood menteur a valeur de reconnection. En commençant par "Monty" Clift le survivant, celui qui s'efforce d'être soi-même tout en se mentant à soi-même. "Toujours  pédé, Monty ?", lui balance le fantôme de James Dean dans sa porsche calcinée avant d'enfoncer le clou: "Les gens veulent des stars au-dessus de leur lit, pas des punaises qui s'accrochent à leur oreiller"... Plus pathétique encore, Clark Gable, avec ses rodomontades viriles et les cascades qu'il veut faire lui-même alors qu'il n'a plus l'âge. Il est ailleurs, heureusement, lorsque le vétérinaire-consultant du film lâche:"Le véritable héros de tous les westerns, c'est le cheval. Le cow-boy, lui, ne fait que que des cabrioles..."

Marilyn, elle, ne fait aucune cabriole. Surtout pas avec son scénariste de mari, Arthur Miller, l'apathie conjugale incarnée, tout juste bon à s'exciter lorsqu'il entend du Ella Fitzgerald. Il n'a épousé que son scénario, Miller, même si, en guise de cadeau d'adieu, il offre à sa compagne son plus grand rôle dramatique. C'est là que surgit la fameuse scène du désert où le personnage de Roslyn, alias Marilyn, hurle sa soif d'intégrité face aux assassins de mustangs et autres gredins de studios qui n'ont jamais discerné cette flamme intérieure qui en faisait un être unique.

Dans The Misfits, ce cri est filmé de loin, Huston renonçant au gros plan. Luz, lui, n'hésite pas à s'approcher, dessinant d'abord Marilyn de dos, puis zoomant, de face, sur son "Menteurs !" avant de prêter à l'actrice d'autres propos que ceux que tient son personnage dans le film. Ainsi s'esquisse une préhistoire du mouvement #MeToo dans ce poster froissé de l'icône docile et glamour dont le trait de crayon d'un dessinateur féministe dévoile les virtualités émancipatrices. "Sainte Marilyn, vierge des désirs défoncés...", écrit Virigine Despentes dans sa postface:  "Moins de 'Poupoupidou', plus de coups de pelle en travers de ta gueule"... Vivement une rediff des Misfits ! Avec le regard de Luz au creux du cœur, on vérifiera à quel point Marylin y avait retrouvé le droit à la parole.

Hollywood menteur, Luz (Éditions Futuropolis). Coup de projecteur avec l'auteur, jeudi 27 juin, sur TSFJAZZ (13h30)

 

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