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CARLA BLEY / WOLFGANG PUSCHNIG

Godard (la biographie)

Le mercredi 14 avril 2010, par Laurent Sapir

Sacré Jean-Luc ! Alors que le futur réalisateur de "A Bout de Souffle" est parvenu à faire son trou dans "Les Cahiers du Cinéma", le voilà soudainement qui s'enfuit avec la caisse de   la prestigieuse revue... Cette image de Jean-Luc Godard kleptomane (il pique aussi des livres rares à sa famille) poursuit le lecteur au fil des 900 pages qu'Antoine de Baecque vient de consacrer au plus fascinant des cinéastes français...

Car Godard vole, dans tous les sens du terme...  A la fois drôle d'oiseau et gentleman cambrioleur, ses films ailés chapardent   à droite et à gauche, caviardent l'air du temps, charcutent diverses disciplines... Entre auberge espagnole et cocktail molotov, la Godardie est un patchwork permanent, une impureté clinique, un Alien protéiforme, une alchimie pulsative qui raconte les humeurs du coeur et les mouvements de la société en fonçant droit dans toutes les tempêtes qui, sur plusieurs décennies, ont agité la maison France.

Et en même temps, parce que "Le Mépris", "Pierrot le fou" et autres "Chinoise" nous ont tellement aidés à vivre, parce que ces oeuvres follement datées ne parviendront jamais, paradoxalement, à prendre la moindre ride, il faut bien admettre le caractère unique et singulier d'une telle filmographie. Antoine de Baecque en décrypte avec force les marques les plus visibles. Jean Seberg, Brigitte Bardot, Anna Karina... C'est d'abord au féminin pluriel que le travelling version Godard a commencé à être une affaire de morale.. L'Algérie, le VietNam, Mai 68... C'est aussi parce qu'il s'est toujours nourri de l'Histoire lorsqu'elle prenait une majuscule que JLG est devenu incontournable.

Cela ne va pas sans éclats, mais s'il n'y a pas d'éclats, il n'y a pas Godard... Antoine de Baecque raconte un type souvent odieux, et encore plus souvent malheureux... A trop bouffer du présent, à trop vouloir se miroiter dans le miroir de l'époque, l'auteur de "Bande à part " multiplie les ruptures. Il veille surtout, par on ne sait quelle tortueuse et bouillante tournure de l'esprit, à se donner fréquemment le mauvais rôle. Lorsqu'il est question de faire paraître la correspondance post-mortem de François Truffaut, l'éditrice du livre téléphone à Godard pour solliciter son feu vert au sujet d'une missive "historique" que le réalisateur des "400 coups" avait envoyée à son vieux pote au pire moment de leurs relations... Truffaut avait alors lessivé un Godard trop imbu de lui-même en le traitant de "merde sur un socle"... Quelques quinze ans plus tard, au bout du fil, et à chaque passage de la lettre en question, à chaque rappel de tous les motifs de dispute entre les deux anciens comparses de la Nouvelle Vague, l'éditrice entend  JLG chuchoter : "c'est vrai, c'est vrai"...

80 ans bientôt...  Depuis quelques années, l'agitateur a fait place à l'ermite... Il fait d'ailleurs des films d'ermite, désormais, mais il s'en fout... La bio d'Antoine de Baecque, il s'en fout aussi... Il n'a pas donné son autorisation , mais il s'en fout... Il avait un peu la même légèreté revigorante lorsqu'il parlait jazz il y a quelques années avec l'ancien rédac 'chef des "Cahiers du Cinéma", Thierry Jousse, qui lui avait arraché quelques confidences sur Coltrane, Keith Jarrett, le Free Jazz ou encore Manfred Eicher, le patron d'ECM...Pas un mot, en même temps, lors de cette conversation qui a donné lieu à un disque, sur Martial Solal et la musique de "A bout de souffle"...J'aimerai bien savoir, pourtant, à quoi ça ressemblait, ce concert de jazz que Jean-Luc Godard a filmé, à la Sorbonne, en plein Mai 68...

"Godard" d'Antoine de Baecque (Editions Grasset)... A suivre les Jeudis du Duc, ce 18 avril à 19h, sur TSFJAZZ, avec Antoine de Baecque, Thierry Jousse et l'universitaire Gilles Mouëllic, auteur de "Jazz et cinéma"

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Jean-Luc Godard

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