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Fran Lebowitz: si c'était une ville

Le vendredi 15 janvier 2021, par Laurent Sapir
Nouvelle perle rare sur Netflix avec la dernière addiction de Martin Scorsese, l'essayiste, humoriste et jazzfan Fran Lebowitz avec laquelle le réalisateur de "Mean Streets" partage le même culte de New York. Une série documentaire aussi touchante que décapante.

C'est son "Madame Bovary c'est moi "Martin Scorsese semble assurément avoir trouver en Fran Lebowitz un alter ego féminin. Méconnue en France mais véritable icône à New York, cette essayiste et humoriste qui fut pendant un temps proche d'Andy Warhol partage avec le réalisateur de Mean Streets la même fièvre caustique, le même débit de parole, cette énergie virevoltante propulsée par une nervosité qu'on dirait innée. Depuis leur rencontre au milieu des années 90 lors de l'anniversaire de John Waters, le pape du mauvais goût américain, ils passent tous leurs réveillons du Nouvel An ensemble, paraît-il, en train de mater des vieux films dans la salle de projection du cinéaste. 

Mais leur vrai point commun, c'est New York, cadre doré de cette série documentaire en sept épisodes conçue comme une conversation à thèmes multiples qui ressemble surtout à une poignante et décapante lettre d'amour à la cité mythique. Chacun avec son identité, ses origines -l'univers macho de Little Italy pour Scorsese, la militante lesbienne issue d'une famille juive côté Fran Lebowitz-, les deux amis semblent vouer un culte éternel à ce New York d'autrefois, mégapole infernale, jazzy, bordélique mais tellement plus authentique que la ville un peu proprette et de plus en plus gentrifiée dont les derniers éclats ont été brisés net par la pandémie.

Avec son look faussement sévère et son bagout ravageur, Fran Lebowitz dézingue cet environnement new-yorkais avec un franc-parler irrésistible. -"Ça vous dérange quand dans la rue...? -"Yes !", rétorque-t-elle aussitôt sans même attendre la fin de la question lors d'une rencontre avec son public. L'irritent au plus au haut point l'hygiénisme du temps présent, le culte du bien-être aux antipodes d'une vie antérieure où l'on pouvait fumer librement et manger n'importe quoi, les diktats du culturellement correct qui nous interdisent désormais de lire un bouquin dès lors que son auteur a suscité une réprobation morale... Elle râle autant contre les boutiques de luxe qui ont remplacé les lofts à Soho tandis qu'une location de vélos a pris la place d'un célèbre kiosque à journaux du côté de Time Square.

Évidemment qu'on pense à Woody Allen... Un Woody au féminin singulier, mais en plus acerbe et brut de décoffrage. Scorsese n'hésite d'ailleurs pas à reproduire le graphisme des génériques du réalisateur de Manhattan, comme l'observe avec justesse la journaliste et réalisatrice Florence Colombani au micro de TSFJAZZ. Il fragmente surtout avec virtuosité et musicalité cette conversation avec Fran Lebowitz en jonglant avec les lieux (le bar avec sa table de billard, les promenades dans les rues, la maquette de New York éclairée de façon magique...) et les époques, ou encore en intercalant des archives judicieusement choisies.

Parmi ces archives, une rencontre entre Duke Ellington et Leonard Bernstein. Est-ce la musique de la Motown qu'elle adore qui donne autant de vitalité à Fran Lebowitz ? Ou alors le fait qu'elle ait connu cet ogre de Charles Mingus du temps où ce dernier finissait la dinde de Thanksgiving dans la cuisine de ses parents chez lesquels elle l'avait invité ? Martin Scorsese paraît en tout cas comme un poisson dans l'eau lorsqu'il s'agit d'illustrer ce type d'environnement musical. Après Bob Dylan et les Rolling Stones, sa nouvelle amie serait-t-elle le dernier trait d'union avant un grand documentaire sur le jazz ?

Fran Lebowitz: si j'étais une ville, par Martin Scorsese. Série documentaire en sept épisodes à découvrir sur Netflix. Coup de projecteur sur TSFJAZZ, ce mardi 19 janvier (13h30) avec la journaliste et réalisatrice Florence Colombani.

 

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