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NOBODY KNOWS THE TROUBLE I'VE SEEN
LOUIS ARMSTRONG

Ennemis publics

Le samedi 11 octobre 2008, par Laurent Sapir

Pourquoi en faire tout un pataquès, c'est à dire 324 pages, de ce désir de déplaire? Dévorés chacun dans leur genre par une vertigineuse hypertrophie de l'ego déclinée ici sous forme épistolaire, Michel Houellebecq et Bernard-Henri Lévy en sont donc réduits à postuler, dans "Ennemis publics", que la terre entière les déteste (Ah bon?), et que finalement ils n'en sont pas si mécontents.

BHL l'observe d'ailleurs  avec toute l'humilité qui le caractérise:  Sartre était lui aussi vomi par ses contemporains, et ne parlons pas de Cocteau et Baudelaire...  Qu'il est vain, en même temps, ce désir ou cet art de déplaire, quand la chose relève à ce point de l'inclinaison naturelle chez nos deux "ennemis publics"... Alors oui, pourquoi en faire des tonnes et à quoi bon ces assommantes circonvolutions philosophiques sur le conflit entre Athènes et Jérusalem? A ce jeu là, Houellebecq est en fin de compte le plus pitoyable et le plus sincère, même si on ne croit pas un seul instant à sa volonté affichée de se trouver des points communs avec son interlocuteur du moment:  " Ah, ces boeufs interminables, écrit-il à-propos du jazz, une fois que les musiciens ont posé leur grille d'accord ! Le plaisir qu'ils en retirent ! L'ennui qui s'en dégage ! "...

Le même s'en va stigmatiser, quelques centaines de pages plus loin, les "insuffisances d'âmes " de certains de ses détracteurs... On apprendra aussi que l'auteur des "Particules élémentaires" ne parvient à faire l'amour qu'au demi-réveil, car tout ce qu'il arrive à faire dans un état de pleine lucidité, ce sont ses comptes ou sa valise, ce à quoi BHL, héroïque jusque dans l'intimité, rétorque que lui au contraire ne désire jamais mieux que les yeux ouverts, les sens en alerte et en pleine lucidité... On l'aura compris, en mauvaise pente comme en morne plaine, le tandem Houellebecq/BHL change rarement de braquet, et il faut peut-être déserter cet "Ennemis publics", ou alors simplement le picorer, au hasard de quelques pages, pour que nos deux lettrés de circonstances deviennent à nos yeux d' "honorables correspondants"...  Il faut s'élever d' "Ennemis publics", par exemple, pour se rappeler que Houellebecq est un écrivain parfois génial, un cinéaste pas si nul qu'on ne l'a dit, et un provocateur qui fait souvent mouche, notamment à travers son côté "passager" du monde, ce qui n'a rien à voir avec les trépidations nomades de Bernard-Henri Lévy...

BHL justement... Terminons par lui... Là encore, il faut s'élever d' "Ennemis publics" pour trouver ce qui, ne lui en déplaise, est le moins déplaisant chez lui. Pour l'avoir rencontré il y a un ou deux ans avec le micro TSFJAZZ au moment d' "American Vertigo",  j' avais été frappé et même troublé par l'inquiétude du bonhomme sur la façon dont il pouvait être perçu, notamment sur le plan politique, alors que franchement mon avis, qu''est ce que ça pouvait bien lui faire? Je me souviens d'un BHL mal rasé, cherchant la vérité de son interlocuteur, son histoire, son regard... J'avais trouvé le moment carrément empathique, parce que pour une fois, j'avais l'impression de ne pas avoir affaire à un personnage en représentation permanente... Evidemment, tout ça nous éloigne un peu du formidable choc entre Athènes et Jérusalem...

Ennemis Publics, de Michel Houellebecq et Bernard-Henri Lévy (Flammarion/Grasset)

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