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DAVE BRUBECK / PAUL DESMOND

Elizabeth Taylor a trouvé sa place au soleil...

Le jeudi 24 mars 2011, par Laurent Sapir

"Si George Stevens n'avait pas été le premier à utiliser le premier film en 16mm couleur à Auschwitz et Ravensbruck, jamais sans doute le bonheur d'Elizabeth Taylor n'aurait trouvé une place au soleil"... C'est Jean-Luc Godard qui met ainsi en parallèle, dans "Histoire(s) du cinéma", les images de la libération des camps nazis filmées par George Stevens et la fameuse séquence du lac, par le même cinéaste, dans "A Place in the Sun"... C'est cela, Elizabeth Taylor. C'était cela: le bonheur en incrust' au milieu des enfers, le plaisir au bord du précipice, la conquête charnelle déployée façon crash...

Les lacs, chez Godard comme George Stevens, sont des lieux finalement bien inquiétants. Et pourtant, filmés de dos sur la rive, les deux amants (lui, c'est Montgomery Clift) d' "Une place au soleil" savourent ce qu'ils peuvent de félicité. Et puis, elle commence à lui parler de ce qui se passe, le soir, au bord du lac, et sans le vouloir, elle lui met dans la tête une idée de meurtre, et le spectateur devient complice de cette idée de meurtre.... Il aimerait bien, lui aussi, le spectateur, pour les beaux yeux d'Elizabeth Taylor, que Monty Clift emmène Shelley Winters, l'ingrate rivale de Liz, en promenade en barque, et qu'il la jette dans l'eau...

C'était aussi ça, Elizabeth Taylor : la complicité de meurtre par écran interposé pour rejoindre un rêve en même temps inatteignable... Même sensualité brûlante et surtout carbonisée chez la  Maggie d'une "Chatte sur un toit brûlant"... Dans l'univers de Tennessee Williams, et ce sera poussé jusqu'à la démence dans "Soudain l'été dernier", Elizabeth Taylor incarne l'inassouvi, le désir qui se consume sur lui-même. Le personnage joué par Paul Newman ne veut pas d'elle, et dans la vie réelle, ni Montgomery Clift, ni les deux autres icônes de l'indétrônable "Géant", Rock Hudson et James Dean, n'avaient les prédestinations sexuelles requises pour nouer romance avec la Rebecca d' "Ivanhoé".

Celle qui avait le visage de la reine de Saba devint alors Cléopâtre, et ce ne fut pas mieux... Richard Burton était trop shakespearien pour adoucir ses élans. Il y eut de la castagne sur le tournage de "La Mégère apprivoisée", et aussi quelques autres joyaux du 7ème art, comme le trop méconnu "Boom", de Joseph Losey, inspiré là encore par Tennessee Williams... em>"On nous regarde !", s'exclame-t-elle brutalement alors que Montgomery Clift danse avec elle et lui dit ce qu'il a sur le coeur dans "Une place au soleil" (j'y reviens, mais ce film là, c'est une histoire du cinéma à lui tout seul)... Elle a alors ce regard caméra qui tue l'écran. Déjà, l'écran était obturé par lui et par elle, et puis voilà ce regard affolé sur nous, les spectateurs... "On nous regarde!"... C'est au balcon qu'ils vont donc se déclarer l'un et l'autre, sur la musique qui va servir de générique, plus tard, à l'émission "Cinéma, Cinémas", car c'était aussi cela, Elizabeth Taylor: la muse seigneuriale de l'une des plus belles déclarations d'amour du septième art...

Elizabeth Taylor s'est éteinte, ce 23 mars 2011, à l'âge de 79 ans. Ce texte s'inspire en partie d'une magnifique leçon de cinéma donnée par le critique Alain Bergala au Forum des Images à Paris autour du film "Une place au soleil"

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