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Discrete Time

Le lundi 09 mars 2015, par Laurent Sapir

Un logiciel diabolique baptisé "Usine", un titre d'album inspiré de la physique quantique, des bidouillages hybrides entre douceurs acoustiques et influx électros... Et si finalement il fallait oublier tout cela et ne retenir du concert d'Olivier Sens et de Juanjo Mosalini au Café de la Danse que la fougue d'une contrebasse, la chaleur d'un bandonéon et le spleen féérique, façon milonga, d'un tel compagnonnage musical ?

Certes, il faut compter avec l'autre... "Je suis là, au milieu du plateau !", pixelise-t-il haut et fort. Programmé comme il se doit par Olivier Sens qui fait désormais figure de contrebassiste le plus geek de la planète jazz (après déjà une belle carrière au côté de Chris Potter, Michel Portal ou encore Bojan Z), le petit monstre informatique se la joue donc sideman performatif et pas du genre à renvoyer une boucle de batterie toute pauvre et toute figée comme cela est de coutume dans la vulgate jazz électro.

Non, lui, son truc, c'est les tempos aléatoires, les interactions percussives, les changements de timbre en fonction de ce que lui renvoient le bandonéoniste et le contrebassiste... Parfois, d'ailleurs, c'est lui qui donne le tempo, comme dans Sens des mots, où il balance la même note à laquelle s'ajoute la quinte inférieure, poussant du même coup Mosalini à composer le morceau avec des harmonies uniquement construites sur des quintes superposées. Mais il a aussi du tact, ce logiciel... Quand surgit le fantôme d'Astor Piazzolla avec le si beau Milonga del Angel, on dirait qu'il est moins directif, plus discret. Plus respectueux, aussi, du poignant tribute de Juanjo à son père, le légendaire Juan José Mosalini. Un morceau comme Rayado, en revanche, relève de l'exultation absolue. La contrebasse phosphore, le bandonéon monte en puissance, le logiciel ne tient plus en place.

Comme nous, d'ailleurs, saisi qu'on est par une folle envie de danser sur ce motif musical amplifié de manière frénétique. On l'aura compris: la machine ne déshumanise pas la musique. Bien au contraire, elle en condense l'intensité, balaye le superflu et assure la connexion directe entre la virtuosité et l'âme, avec en bonus des ambiances rêveuses, des matières qui font penser à la pluie ou à la nuit, des collages S.F. qui enrichissent encore d'avantage la plénitude du jeu par rapport à ce qui avait été initié en novembre 2013 lors du Reims Jazz Festival. Le Gotan Project peut aller se rhabiller. Avec Olivier Sens et Juanjo Mosalini, le live jazz, tango et électronique est à la fois tonique et poétique. Leur disque, qui plus est, est une merveille.

Discrete Time (Zam/Socadisc), Olivier Sens et Juanjo Mosalini.  C'était au Café de la Danse, à Paris, le vendredi 6 mars.

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