Entre le roman-je et le roman-monde, Emmanuel Carrère invente le roman-autres, au carrefour de plusieurs blocs de douleur dont il est le témoin. L’écrivain est en vacances avec sa compagne, au Sri Lanka, lorsqu’à lieu le Tsunami en décembre 2004. Son hôtel est en hauteur…

La vague, il ne l’a même pas vue arriver… Elle va quand même l’emporter, d’une certaine manière, surtout quand il se retrouve confronté, quelques mois plus tard,à une autre épreuve qui à priori n’a rien à voir, et qui lui permet de découvrir l’amitié entre deux juges boiteux, Juliette et Etienne, qui s’occupent des surendettés dans un tribunal de province. "Nous avons été de grands juges", dira Etienne, après la "catastrophe"....

La plume d’ Emmanuel Carrère traverse bien des malheurs au fil de ces pages, et en même temps, ce n’est que lumière et harmonie, ce roman…  Aucune âme grise… Aucune noirceur… et surtout, une magnifique histoire d'amour entre Juliette, cette belle-soeur que l'auteur n'aura pas eu le temps de connaître, et Patrice, son mari, un grand escogriffe savoyard un peu anar, un peu paumé, et en même temps tellement essentiel... "Une des choses qu'il avait aimées chez Juliette, écrit Emmanuel Carrère, c'est qu'elle n'était pas la femme avec qui il aurait dû être normalement. Elle l'avait bousculé, sorti de son sillon. Elle était la différence, l'inattendu, le miracle, ce qui n'arrive qu'une fois dans une vie et encore, si on a beaucoup de chance"...

L’auteur de « L’Adversaire » a renoncé à ses névroses. Il n’est plus que générosité, concision d’écriture, éloge de l’amour, régénérescence de soi-même également, quand on parvient ainsi à mûrir en s’abandonnant dans d’autres vies que la sienne…

D'autres vies que la mienne, d'Emmanuel Carrère (Editions P.O.L.), Coup de projecteur avec l'auteur ce vendredi 13 mars à 8h30, 11h30 et 17h30.