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Charles Delaunay et le jazz en France...

Le jeudi 08 avril 2010, par Laurent Sapir

C'est le genre de querelle qui, à priori, ne parle plus à grand monde...  Il y a plus de 60 ans, en pleine guerre froide, le jazz français se consumait lui aussi en chasses aux sorcières, règlements de comptes et autres excommunications... Le concert de Dizzy Gillespie à Pleyel déchirait alors en deux camps irrémédiablement hostiles  "figues moisies" et "raisins aigres", anciens et modernes, défenseurs du bon vieux swing néo-néorléanais derrière Hugues Panassié, et partisans du be-bop regroupés autour de Charles Delaunay.

Ces deux là avaient pourtant fait cause commune, dans les années 30, en fondant le fameux Hot Club de France auquel Django Reinhardt et Stéphane Grappelli allaient agréger un quintette d'exception... Si loin, si proche... Voilà que nous reviennent, aujourd'hui, par livres interposés, des relents de l'ancienne castagne... Un peu à son insu, l'antenne de TSFJAZZ en fut le théâtre en début d'année lors de cette fameuse émission consacrée au non moins fameux  "Jazz et société sous l'Occupation", de Gérard Régnier...

Ce soir là, étonnamment bougon, le journaliste Alain Tercinet, qui était l'un de nos invités, se livra à un étripage en règle de l'auteur du livre sous prétexte qu'il avait sali la mémoire de Delaunay en le transformant en jazzfan vichyssois...Il était en service commandé, ce soir là, Tercinet, et Milady s'appelait Anne Legrand, qui allait faire paraître, quelques semaines plus tard,  "Charles Delaunay et le jazz en France dans les années 30 et 40 "... Il faut lire les deux ouvrages -ils se complètent très bien- pour disposer du bon panoramique sur ces années troubles... L'historien du jazz sous l'Occupation appuie là où ça fait mal, dénichant ce fameux texte dans lequel Delaunay prétend "ressusciter le jazz français" en l'acoquinant à des valeurs "spirituelles" dont on saisit trop bien le nouvel ordre moral et politique qui, en ces années couleur Vichy, était susceptible de s'en réclamer.

Anne Legrand, quant à elle, préfère éclairer les hauts faits de résistance du "Grand Charles", notamment lorsque le pavillon de la rue Chaptal, siège du Hot Club de France, servait à fois de boîte au lettres et de refuge aux aviateurs anglais... La journaliste et universitaire rappelle également à quel point le fils des peintres Sonia et Robert Delaunay a toujours baigné dans un climat d'ouverture... Hugues Panassié s'en sort un peu moins bien dans cette affaire, alors qu'il était relativement épargné sous la plume de Gérard Régnier... 

Donneur d'ordres du genre tonitruant, réfugié dans sa campagne montalbanaise alors que Delaunay met les mains dans le cambouis à Paris, réactionnaire dans l'âme, aussi bien sur le plan politique que musical, le personnage se fait lui aussi taxer de Vichyssois, notamment par certains critiques de jazz américains... Il est surtout absent, à Paris, lorsque les premiers disques de be-bop débarquent rue Chaptal et c'est bien, semble-t-il, cette extériorité croissante de Panassié, géographiquement parlant, qui lui fait prendre en grippe l'activisme de Delaunay. Avec finesse et rigueur, et même si le canevas universitaire a parfois tendance à brider sa plume, Anne Legrand donne ainsi une toute autre perspective à la rupture des années 47/48, au-delà des crispations théoriques que la postérité a retenues... 

"Charles Delaunay et le jazz en France dans les années 30 et 40" , de Anne Legrand (Editions du Layeur) Coup de projecteur avec l'auteur ce vendredi 9 avril à 8h30, 11h30 et 16h30

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