Direct
NIGHT TIME (IS THE RIGHT TIME)
RAY CHARLES

Chained & Beloved

Le vendredi 10 juillet 2020, par Laurent Sapir
Anatomie d'une séparation. D'abord le point de vue du mari, puis celui de son épouse... Avec "Chained" et "Beloved", de Yaron Shani , la nouvelle vague du cinéma israélien s'enrichit d'un diptyque de haut vol.

Cassavetes, apparemment, ça lui parle. Formé à l'école d'un cinéma abrupt, toxique et nourri d'une approche de type documentaire, le réalisateur israélien Yaron Shani s'était fait remarquer en 2009 avec Ajami, polar hyper tendu sur les multiples antagonismes d'un quartier de Jaffa, dans la banlieue de Tel-Aviv. Co-réalisé avec le Palestinien Scandar Copti, le film avait reçu la Caméra d'or à Cannes. Chained et Beloved, qui sortent sur les écrans à une semaine d'intervalle, se positionnent sur une veine plus intimiste mais pas moins implacable lorsqu'il s'agit d'observer la désagrégation d'un couple.

Chained évoque cette séparation du point de vue de l'homme tandis que Beloved déplace la focale vers son épouse. Ceci étant, la symétrie n'en est pas tout à fait une dans la mesure où le premier volet du diptyque, conçu comme une descente aux enfers, est un concentré de masculin singulier tandis que second volet, plus délayé, se décline au féminin pluriel, l'épouse n'étant pas seule à tenir le rôle principal. La trame, elle, reste la même. Rashi, un policier de Tel-Aviv pour le moins taciturne, rêve d'offrir un enfant à son infirmière d'épouse, Avigail, sauf qu'entre traitement hormonal et fausses couches à répétition, l'heureux événement se fait attendre.

En attendant, le flic looké gros nounours fait assaut de maladresse envers la fille d'Avigail issue d'un premier mariage et en pleine crise d'adolescence. Pire encore, le voilà soupçonné d'agression sexuelle sur mineurs lors du contrôle un peu trop poussé d'un groupe de lycéens dans un parc de la ville. Yaron Shani traite en segments ces avanies d'une masculinité en crise. Jamais, par exemple, les déboires professionnels de Rashi ne viennent alimenter les conversations de plus en plus tendues entre les deux conjoints. Le spectateur saisit d'emblée, en revanche, comment l'intégrité bafouée d'un mari aimant l'amène à devenir, au sein du foyer familial, de plus en plus possessif et insensible aux états d'âme de son épouse.

À la fin de ce premier volet cash et frontal, Avigail apparaît soudainement les cheveux courts. Ça lui va beaucoup mieux. Beloved développe ce processus de libération, ou comment un week-end entre amies dans un cadre bucolique va avoir raison, peu à peu, de cette longue tresse qui ressemblait surtout à une longue chaîne. Sous la "coupe", si on peut dire, d'une conseillère psychologique prolifée new-age et qui semble nourrir des sentiments pour le moins ambivalents envers sa jeune protégée, l'infirmière découvre de nouveaux horizons, sans doute autrement sexués. On n'est pas certain, en même temps, que ce nouveau cercle relationnel fasse vraiment disparaître l'infantilisation qu'elle subissait de la part de son mari.

La tonalité cinglante de Chained a notre préférence, mais la délicatesse mâtinée d'étrangeté de Beloved  (les visages floutés des malades à l'hôpital...) finit aussi par nous imprégner au gré d'une mise en scène jamais répétitive dans ses tonalités, ses spasmes et ses décadrages. Les deux acteurs non-professionnels (Eran Naim, l'anti-héros de Chained, et Stav Almagor, la muse de Beloved ) crèvent l'écran dans un registre exempt de tout manichéisme lorsqu'il s'agit de démêler l'écheveau d'un désamour, le dévoiement masculin et les mille et une modalités d'une féminité en quête d'émancipation.

Chained & Beloved, Yaron Shani (Sorties en salles les 8 et 15 juillet)

Partager l'article
Les dernières actus du Jazz blog