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Bring the Noise

Le dimanche 31 mars 2013, par Laurent Sapir

Le titre de l'ouvrage en rappelle un autre. Avec "The Rest is Noise", paru il y a trois ans, le journaliste américain Alex Ross brossait une vision décapante de l'évolution des courants musicaux au 20e siècle.  Nonobstant notre vaste inculture en la matière, il tissait brillamment un écheveau de correspondances et de simultanéités évocatrices au coeur d'une vaste odyssée allant de Mahler à Boulez, en passant par Debussy et Chostakovitch, avec en bonus des guest stars comme Duke Ellington, les Beatles et Bjork. Bien que le propos soit plus resserré chronologiquement, "Bring the Noise", de Simon Reynolds, mérite de faire autant de bruit.

L'auteur, qui fait office de Philippe Manoeuvre made in Britain mais en moins bling-bling, a compilé mais aussi réactualisé tout ce qu'il a écrit depuis 1985 en termes  de vibrations rap, jungle, électro et post-punk parallèlement au rock indé anglo-saxon. De Public Ennemy à Radiohead, en passant par Nirvana, PJ Harvey et Oasis, l'inventaire pourrait aisément mettre H.S. tout jazzophile qui se respecte. Il n'en est rien, mystérieusement, ne serait-ce qu'à travers l'angle d'attaque qui semble obséder Simon Reynolds.

À vrai dire, c'est surtout le dialogue entre musiques noires et musiques blanches qui le passionne, et plus précisément comment les premières ont été recyclées, incomprises ou négligées par les secondes. L'autopsie d'un fossé racial, mais aussi social et politique (ne serait-ce qu'à travers l'embourgeoisement et la récupération de la BritPop par le blairisme triomphant), va ainsi de pair avec toute une série d'incompréhensions plus ou moins productives entre white dudes et Black Street music, y compris lorsque cette dernière, par le biais de sonorités soyeuses et raffinées faisant un peu "nouveau riche", semble plus se mettre au service de l'ascension sociale que de la rébellion.

"Les impulsions mercenaires et esthétiques, écrit ainsi Simon Reynolds, ont toujours fait bon ménage avec la pop noire; on ne peut pas plaquer les complexes des blancs bohèmes vis-à-vis du matérialisme sur des prophètes avides et des chamans anarcho-surréalistes durs en affaires comme Lee Perry et George Clinton. En réalité, gagner de l'argent contient en soi une charge libératrice, vu l'histoire des artistes noirs arnaqués par les businessmen blancs de la musique..." Cette problématique n'a-t-elle pas également traversé l'âge d'or du jazz?

Entre hybridations réussies,  transversalités affadissantes et revivalismes asséchants, la note bleue n'en a-t-elle pas vu, elle aussi, de toutes les couleurs dans le clair-obscur d'une relation à la fois riche et complexe entre jazz noir et jazz blanc? Le chapitre que Simon Reynolds consacre à Miles Davis dans sa période électrique résonne à la fois, à ce propos, comme un chant du cygne et un crédo utopiste pour quiconque, dans la droite lignée de l'auteur de "Bring the Noise", continue à clamer haut et fort sa foi dans une musique de l'alchimie, de l'infection et de l'intoxication.

"Bring the Noise", de Simon Reynolds (Editions Diable Vauvert). Coup de projecteur avec l'auteur ce mardi 3 avril, à 12h30, sur TSFJAZZ

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