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Les chorus tremblés de Bertrand Tavernier

Le jeudi 25 mars 2021, par Laurent Sapir
Avec la disparition à 79 ans de Bertrand Tavernier, c’est toute une horloge ciné-jazzistique qui s’en trouve détraquée. Pas seulement autour de minuit...

Drapeau noir sur le cinéma français. Le plus enflammé de ses représentants, celui dont les chorus tremblés et généreux ont donné matière à des films aussi prodigieux que La Guerre sans nom, Que la fête commence ou encore Un Dimanche à la campagne, notre cinéaste au cœur jazzant qui mettait toute une fréquence en pâmoison dès lors que le micro de TSFJAZZ lui était tendu, voilà qu'il a rejoint Dexter Gordon, son héros de Autour de minuit

Nourri d'une cinéphilie à visage éternellement humain, Bertrand Tavernier en aura traduit les éclats et les écorchures sans jamais se complaire dans un genre précis. Du film historique à la chronique sociologique, du polar sombre à la sonate printanière, sans oublier sa puissance d'évocation dès lors qu'il empruntait la voie du documentaire, son univers swinguait d'un versant à l'autre, sondant tour à tour les gangrènes familiales, les jeunesses insatiables, la violence sociale ou sociétale. Il y avait trop de chair dans cette façon de filmer pour la confondre avec l'académisme, trop de spleen ou d'expressivité pour réduire une certaine idée du réalisme à la française qui était la sienne en naturalisme plat.

Ce formidable passeur détestait chapelles et sectarismes. La Nouvelle Vague était une référence mais il aimait bien aussi ce qu'il y avait avant. Passionné par le cinéma américain, il en avait saisi avec un sens de l'intégrité inouï toutes les ombres au temps du Maccarthysme dans ce livre-somme que fut Amis Américains. Ses colères, ses points de vue... Authentiquement à gauche, Bertrand Tavernier dénonçait avec la même véhémence ceux qui attaquaient ses valeurs comme ceux qui les trahissaient.

Il y aurait encore tant à écrire, ce rapport aux comédiens, par exemple, et la façon dont il les respectait et les magnifiait, y compris les petits rôles. Philippe Noiret, autre âme vorace, fut son alter ego, mais le contact avec les jeunes générations produisit des étincelles aussi mémorables: Marie Gillain dans L'Appât, Isabelle Carré dans Holy Lola, toute la troupe de La Princesse de Montpensier... Même acuité dans les choix des musiciens pour ses B.O. Philippe Sarde en premier lieu, mais aussi deux contrebassistes, Henri Texier et Ron Carter pour Holy Lola et La Passion Béatrice.

"C'est cette anomalie à la rétine que vous évoquez à un moment de votre récit qui vous rend si visionnaire ? ", lui avais-je mailé après l'ultime éblouissement, ce fameux Voyage à travers le cinéma français agencé et ciselé comme un joyau avant de devenir une série télévisée ignominieusement diffusée en toute fin de soirée -le syndrome autour de minuit, décidément... Un autre mail, plus ancien: "J'espère que vous ne prendrez jamais votre retraite et que vous continuerez à inventer et réinventer, d'un genre à l'autre, ce cinéma fougueux, chaud comme l'amour et fin comme l'intelligence qui est votre marque de fabrique "... Certains cinéastes sont comme nos pères à l'écran. Dans La Guerre sans nom, Bertrand Tavernier évoquait ce que le mien, lui aussi né en 1941, avait vécu en Algérie. Le chagrin, ce soir, appartient à une certaine famille.

Bertrand Tavernier ( 25 avril 1941-25 mars 2021)

 

 

 

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