Bardot l'inconciliable (par celles et ceux qui en parlent le mieux...)
Et Dieu créa un mythe. Avec la disparition de Brigitte Bardot, c’est toute une page — cinématographique autant que sociétale — qui se tourne, bien au-delà des controverses dont la star reconvertie dans la cause animale fut longtemps l’objet… et pas vraiment à son corps défendant.
Entre la jeune femme jurant de ne jamais tourner en Amérique après l’exécution en pleine Guerre froide des époux Rosenberg, et les propos qui lui valurent plus tard d’être poursuivie pour racisme, quel fossé ! C’était Bardot : libre dans l’emportement, la répartie, l'insolence et l’hérésie, cassant tous les miroirs — à commencer par celui que le cinéma lui avait tendu, et dont les reflets préservent à jamais l’ombre de Camille dans Le Mépris de Jean-Luc Godard. La musique fut aussi l’un de ses territoires d’élection — de Claude Bolling à Serge Gainsbourg — tout comme la cause animale, qui devait ensuite la raidir dans les versants que l’on connaît. Pour le reste, et alors que les réseaux sociaux s’étripent déjà à cœur joie autour de B.B. l’inconciliable, le mieux est de citer celles et ceux qui en ont parlé le mieux:
FEMINISME
BB est désirable sans être une femme fatale, pas une vamp, ce que les hommes ne lui pardonnent pas. Elle montre son corps, ni plus ni moins, et ce corps est rarement immobile. Elle marche, elle danse, elle bouge. Son érotisme n’est pas magique, il est agressif. Dans le jeu de l’amour elle est autant le chasseur que la proie. (…) Dans les pays latins où les hommes s’accrochent au mythe de la femme-objet, le naturel de B.B semble plus pervers que n’importe quelle sophistication. Mépriser les bijoux, le maquillage, les talons hauts et les gaines, c’est refuser de se transformer en idole. C’est s’affirmer comme la semblable et l’égale de l’homme, c’est reconnaître qu’entre la femme et lui il y a le désir et le plaisir mutuels (Simone de Beauvoir, Brigitte Bardot et le syndrome de Lolita, Esquire, 1959)
ACTRICE
Bardot est une vague qui roule, en marge, ondulante, changeante, pleine de désirs, d’hésitations, de cinémas, avançant et refluant entre un vieux cinéma, un cinéma de vieux, et un jeune cinéma, de jeunes, auxquels elle prête indifféremment son corps, féline, son phrasé, sa nature, sans arrière-pensées, son âme, sans plans de carrière, sans grande envie, juste avec désinvolture, authenticité, dans le moment. Bardot est une jeune fille rangée et une diablesse avec une chevelure de feu, moderne et d’une autre époque, selon le cinéaste auquel elle fait mine de s’offrir, les amoureux comme les vieux dictateurs, Duvivier, Autant-Lara, Clouzot, ne livrant jamais son secret, car tous ne la méritent pas. (...) Le public non plus ne la mérite pas, nous, devant l’écran, eux, sur l’écran, les fans (Vie privée) ou celui des procès (La Vérité). Tant pis pour eux, tant pis pour nous. On fêta Marilyn morte, on pourrait fêter Bardot, vivante. C’est de sa faute, c’est de la nôtre et c’est à pleurer. Elle a pourtant fait le même chemin sacrificiel, l’enfant devenant femme, la pute, sainte, la vedette, star." (Jérôme d'Estais, Cinquante éclats de cinéma, 2022)
"L'empathie du spectateur pour Bardot se fait dans le dos des images : on ne passe plus par l'entremise d'un cinéaste pour aimer cette femme, on court-circuite la hiérarchie, on se branche directement à elle et on la plaint" (Murielle Joudet, La seconde femme. Ce que les actrices font à la vieillesse, 2022)
VIEILLESSE
"Patiemment, au long de plusieurs décennies, l'ex-actrice remplace chaque image de cinéma, chaque bout de peau exhibé devant la caméra, chaque ligne de dialogue inepte, chaque étreinte pour de faux, par des images choisies, des propos spontanés, des opinions de plus en plus éclairées (...) En dehors des animaux, sa vindicte n'épargne personne : Bardot n'est pas tant homophobe, misogyne et islamophobe que purement et simplement misanthrope — l’envers nécessaire de son amour immodéré des bêtes (...) Elle ne comptait précisément pas passer la seconde partie de sa vie dans le rôle de conservatrice de son propre mythe, mais s'emploierait, par indifférence ou vengeance, à salir l'aura de ses jeunes années jusqu'à ce que, dans les mémoires des spectateurs, la vieille dame à la télé ait remplacé la jolie poupée de cinéma. À elle désormais d'exercer le mauvais génie des vieilles, cette magie noire qui, parce que le regard des hommes ne structure plus leurs choix, leur autorise tout". (Murielle Joudet, La seconde femme. Ce que les actrices font à la vieillesse, 2022)
Brigitte Bardot (28 septembre 1934-28 décembre 2025)
Post-scriptum: Brigitte Bardot avait hébergé Maria Schneider alors qu'elle était sans domicile. Elle l'appelait chaque dimanche pour savoir comment elle allait. C'est elle qui paiera les obsèques.