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Albert Ayler : témoignages sur un Holy Ghost

Le mardi 18 mai 2010, par Laurent Sapir

Et si on rendait Albert Ayler au jazz ? Le recueil de témoignages que viennent de publier les éditions Le Mot et le Reste sous la direction du journaliste, écrivain et producteur de radio Franck Médioni, marque à vrai dire une rupture salutaire par rapport à tout ce qui s'est écrit dernièrement au sujet du saxophoniste le plus irrécupérable des temps modernes. Il n'est plus question, désormais, de fictionnariser l'auteur de "Spirits" en  le transformant en on ne sait quel martyr de LA cause... Sa seule cause,  à Ayler, c'est SA musique, SON intégrité, SON cri...

Le reste,  comme le suggère si bien l'éphémère patron de Jazz Hot, l'écrivain Michel Le Bris, c'est de la politique ou du roman, ce qui est parfois la même chose... De quoi renvoyer au bercail tous les sous-Ellroy de préfecture qui ont complaisamment brodé depuis 40 ans sur le noyé de l'East River ! Fausses pistes, du même coup, que la préface d'Archie Shepp et l'ultime texte signé Amira Baraka, alias Leroy Jones... Entre ces deux icônes de la contestation dont on ne saurait par ailleurs mettre en doute la légitimité dans ce type d'ouvrage (et puis c'est tellement touchant, Archie Shepp qui dit "M. Ayler" au lieu de "Albert Ayler"...), Franck Médioni a réuni des témoignages qui sont peut-être plus de l'ordre de l'affectif, comme si la sensibilité d'Ayler primait sur ses engagements supposés. 

Le cinéaste Alain Corneau, par exemple, qui a fréquenté Albert Ayler lorsqu'il faisait son service militaire à Orléans. Pour Corneau, le dynamiteur de "Summertime"est un naïf, comme le Douanier Rousseau... Jean-Louis Chautemps, lui, a connu, à peu près à la même époque, un Albert sage comme un ange et pas encore du genre, comme ce sera le cas plus tard, à "chercher chicane aux démons en invitant, coûte  que coûte, les sorcières à la maraude"... Peut-être qu'avant la rage, il y a des larmes chez Ayler...  Francis Marmande, qui jazzifie dans "Le Monde", rappelle comment Albert Ayler ne voulait pas croire à la mort de John Coltrane... On lui demande de jouer "Cry Lover" à l'enterrement de "Brother John"... Il répond qu'il ne pourra jamais jouer en pleurant.

C'est dit ou suggéré tout au long de ces témoignages : il y a de l'enfance (de l'art), de l'innocence perdue, une quête inassouvie des origines ou d'un embryon de note bleue dans les stridences "ayleriennes"... "Avec Ayler, la musique des Nègres, des clowns et des enfants, c'est trois en un. Le jazz recolle au train d'une modernité en passe de subir un vieillissement accéléré" (Philippe Gumplowicz); "Ayler est ailleurs. Dans une zone de l'indicible où les fondamentaux  de la musique noire américaine se trouvent sommés d'exprimer leur  essence, en dehors de tout artifice esthétique" (Didier Levallet); "On le voit déborder de toutes parts: plus loin que Parker, jusqu'aux polyphonies de la  Nouvelle-Orléans; plus loin, jusqu'au blues; plus loin, jusqu'aux  spirituals; plus loin encore, jusqu'aux fanfares et folklores immémoriaux, battant le rappel de tous les fantômes du jazz (...) pour relier ce qui fut pure invention à ce qui ne peut être  qu'absolue conquête" (Philippe Carles et Jean-Louis Comolli dans "Jazz Magazine" de 1967)...

On peut évidemment en mourir, d'être à ce point incompris... Pleyel crève de haine en l'an 66.  Coup de froid sur le Free... "Pauvre Albert, écrit Sonny Rollins,    " 'Ils' n'ont jamais été prêts pour lui- ' ils' ne le sont toujours pas"... Le regretté Daniel Caux a résumé, mieux que tout autre et enquête à l'appui, la triste fin d'Albert Ayler... Il n'a pas été assassiné... Ce "n'était" qu'un suicide, aussi cafardeux qu'un début d'années 70... l'aliénation familiale, la rupture du contrat avec le label Impulse, l'impression d'être à nouveau plus rien, à New York, après avoir connu les vivats de St Paul de Vence  à la Fondation Maeght... A-t-il été rattrapé avant l'heure, Albert Ayler, par cette angoisse des fantômes qui ont souvent erré dans son vibrato halluciné et que sa force  spirituelle ne parvenait plus à dissiper ? Un Holy Ghost est-il forcément condamné au spectral?   " Il a sauté dans la rivière en pensant qu'il allait voler", préfère penser le saxophoniste Peter Brötzmann...

On peut conclure autrement, c'est vrai, que sur un clapotis mortifère... S'il devait filmer la fin d'Albert, le réalisateur Flavien Berger ( fils d'un autre enragé de l'époque, Daniel Berger) zoomerait sur "les reflets  du cuivre et des gouttes de sueur sur la peau d' Ayler, son souffle brûlant  comme un dragon, dans un monde aux couleurs froides. Son souffle  rendrait silencieux le vacarme de la musique qui mourrait,  disparaitrait, il n'y aurait plus que le souffle"... Un souffle toujours aussi puissant et poignant, 40 ans après... "

Albert Ayler : témoignages sur un Holy Ghost " (Le Mot et le Reste), par Franck Médioni qui sera l'invité du coup de projecteur de TSFJAZZ le jeudi 27 mai à 8h30, 11h30 et 16h30

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