Dimanche 18 août 2024 par Laurent Sapir

Alain Delon, éclats et ténèbres...

Au soir de sa vie, Alain Delon, qui vient de s'éteindre à 88 ans, s'enorgueillissait de ne plus vivre qu'avec des fantômes: Romy, Visconti, Melville, Losey...et puis aussi le Rocco mal rasé du film culte de Valerio Zurlini, "Le Professeur", avec une BO signée Maynard Ferguson...

 

La star fut parfois controversée, confondant la caméra avec un miroir ou alignant des discours complaisamment disruptifs... L'acteur, quant à lui, restera à jamais dans l'ADN de plusieurs générations de cinéphiles, mêlant éclats et ténèbres depuis l'allégresse toute en mélancolie des Aventuriers jusqu'à la gueule d'ange métamorphosée en spectre ou en personnage crépusculaire dans Le Samouraï, Mr. Klein ou encore le si marquant Le Professeur, réalisé par l'Italien Valerio Zurlini en 1972. Voici ce qui avait été bloggé lors de la sortie du film en DVD il y a un peu plus de 4 ans.

Delon, derniers feux. En 1972, il lui reste encore quatre ans avant Monsieur Klein, de Joseph Losey, et puis terminus. Blier et Godard essaieront bien de refaire monter la mayonnaise (Notre histoire, Nouvelle Vague), mais sans trop y croire eux-mêmes. Ci-gît l'acteur de Rocco et ses frères, désormais abonné aux polars égo-centrés, mythe éternel se conjuguant définitivement à l'imparfait.

1972 du coup, c'est collector. Le Professeur sort sur les écrans cette année-là. Derrière la caméra, l'Italien Valerio Zurlini (1926-1982), "cinéaste des passions tristes" d'après le directeur du cinéma chez Arte-France Olivier Père interviewé dans les bonus du DVD . Devant, un Rocco mal rasé, un Guépard  blafard, un type qui sort de La Piscine pour enfiler un chandail vert tout fripé et un manteau beige en poil de chameau. Comment fait-il pour magnétiser encore l'écran ? Mystère, génie, ou alors un cocktail des deux.

Le cadre n'aide pas, pourtant. Rimini l'hiver, ça vous réconcilie avec la Creuse. Surgi de nulle part depuis un embarcadère battu par les vents, un type traînasse jusqu'au lycée où il est censé faire un remplacement. Il suinte le mal-être, le déclassement, les drames mal cicatricés. À l'écran, il en reste encore le personnage de sa femme, joué par Léa Massari. Entre ces deux-là, le sexe est à la fois brutal et compassionnel. L'amour, c'est pour une autre, une lycéenne insaisissable prénommée Vanina, comme chez Stendhal, sauf que son passé n'a rien de littéraire.

Le film, en revanche, s'encombre un peu trop, parfois, de références culturelles. "L'incurable mélancolie" de la trompette de Maynard Ferguson, (le terme ne s'applique pas seulement au personnage de la jeune fille...) repositionne heureusement le spleen là où il faut. Tout est souillé, triché et damné dans cette romance perdue entre deux parties de poker et quelques soirées d'une orgiaque tristesse avec des "vitelloni" sordidement défraîchis. À l'époque, ces scènes-là n'ont pas plus à Alain Delon qui était aussi producteur. Son puritanisme légendaire et sa conviction qu'un film trop long nuirait à ses fans fabriquèrent une œuvre mutilée. Aujourd'hui, il regrette. Le Professeur est l'un des films dont il est le plus fier. Il a bien raison.

Alain Delon (8 novembre 1935-18 août 2024)