Con Alma (Olympia, 2009)

Pilier du piano caribéen, le Guadeloupéen Alain-Jean-Marie noue une conversation toute en lyrisme et en allégresse avec son cadet Mario Canonge, également au clavier. Résultat: un "live" d'exception.
Fermer les yeux et ne plus savoir très bien qui joue... Ce ressenti formulé par Laurent De Wilde dans Jazz Magazine lors des retrouvailles en 2015 entre Herbie Hancock et Chick Corea, comment ne pas se l'approprier à l'écoute de ce Con Alma qui date de 2009 et qui réunissait à l'Olympia deux autres orfèvres du clavier: Alain Jean-Marie et Mario Canonge. Exhumé des archives de ce dernier, l'album matérialise mine de rien le premier duo sur disque des deux musiciens antillais, et c'est un véritable nirvana à l'arrivée, tant sur le plan harmonique que rythmique.
15 ans les séparent, mais c'est la même générosité qui s'exprime sous les tropiques de deux sensibilités d'exception, celle de l'aîné œuvrant davantage dans la limpidité quand le cadet prend parfois des accents plus fougueux. L'équilibre est tel, pourtant, qu'on finit par ne plus distinguer ces nuances. Où est la force tranquille et où se niche l'éruption volcanique dans la reprise gorgée de virtuosité du morceau éponyme de l'album inspiré de Dizzy Gillespie ? Tout n'est que scintillements, élégance et volupté, et avec une puissance acoustique défiant ce à quoi l'électrification de l'instrument peut être propice par ailleurs. Dans un registre plus poignant, la relecture de l'ode offerte par Wayne Shorter à sa regrettée Ana Maria dans Native Dancer accélère tout autant nos battements de cœur.
Est-ce parce qu'il a le romantisme chevillé à l'âme ou que ses collaborations passées avec Chet Baker, Abbey Lincoln ou Barney Wilen en ont fait un prophète du jazz caribéen ? Les compositions d'Alain Jean-Marie prennent peu à peu l'ascendant à l'écoute de l'album. Conçu il y a plus de 20 ans en observant sa compagne à la fenêtre en train de regarder passer les nuages, Morena's Rêveries possède toujours la même lancinante magie entre contemplation et mélancolie. Le délicieux Lydie et Eric, qui date de l'épopée Biguine Reflections, prend pareillement son envol. Le répertoire de Mario Canonge fourmille lui aussi de trésors, à commencer par le si entraînant Lésé Palé qui porte également la trace de ses rêveries amoureuses passées, sans oublier dans un registre plus lyrique le très beau Péyi Mwen Jodi.
Con Alma, Olympia 2009, Alain Jean-Marie et Mario Canonge (Aztec Music)