Direct
I'M GOING TO BUILD ME A HEAVEN O
LIGHTNIN' HOPKINS

Un Monde Flamboyant

Le mercredi 05 novembre 2014, par Laurent Sapir

L'exemple du jazzman Billy Tipton, qui était en réalité une femme, la ferait presque sourire. Même si ses proches la surnomment "Harry", Harriett Burden ne veut changer ni de sexe, ni de corps. Lorsqu'il s'agit, en revanche, de s'offrir quelques "excursions artistiques" sous des noms masculins, cette plasticienne sexagénaire à la sensualité encore affirmée n'hésite pas un instant. A ses risques et périls.

C'est sous la plume dense, ludique et vertigineuse de Siri Hustvedt, compagne de Paul Auster dans la vie, que le jeu de miroirs prend forme. Il est vrai que, tout comme sa génitrice littéraire, Harriett Burden n'entend pas être réduite au statut de "femme de". La mort brutale de son galeriste de mari va ainsi la désinhiber jusqu'à l'amener à solliciter trois hommes de paille bien plus jeunes qu'elle pour qu'ils endossent la paternité de ses propres créations artistiques. Objectif: montrer à quel point le "sexe fort" est surcoté sur le marché de l'art new-yorkais. Dans un premier temps, la mystification marche du tonnerre. Est-ce à dire qu'il vaut mieux être un homme pour obtenir la reconnaissance du métier ?

Au-delà du constat féministe, Siri Hustvedt interroge la nature même de nos perceptions. Jugeons-nous vraiment en toute objectivité ? Ne faudrait-il pas plutôt convenir, avec la romancière, que "nous voyons surtout ce que nous nous attendons à voir"... Le constat ne s'arrête pas là. L'aventure menée par Harriett trébuche lorsque ses prête-noms commencent à lui résister. L'un d'eux lui fait comprendre qu'elle s'est mise au travers de se sa route et le voilà qui sombre dans une dépression sans nom. Un autre échappe carrément à sa manipulatrice avant de la manipuler à son tour. Harriett Burden comprend dés lors que ses "récipients mâles" ne sont pas vides. "Elle imaginait emprunter la peau d'un homme, mais les humains ne sont pas des déguisements"...

Le crescendo dramatique, qui passe notamment par la case 11 septembre 2001, culmine avec les derniers mois d'Harriett que la maladie finit par rendre furieusement poignante. Mais c'est surtout l'époustouflant labyrinthe élaboré par Siri Hustvedt qui emballe l'esprit. Reconstitué sur un mode choral à travers les témoignages de ses proches, l'itinéraire d'Harriett la dévoile tour à tour rugissante, subversive, impuissante et surtout sujette à un véritable trouble identitaire. Elle se fait même passer, à un moment, pour un obscur critique d'art qui  n'hésite pas à citer une certaine... Siri Hustvedt ! Entre deux emboîtements, on croit alors entendre un immense et ravissant éclat de rire...

Un Monde Flamboyant, Siri Hustvedt (Actes Sud). Coup de projecteur avec la romancière ce mercredi 5 novembre, sur TSFJAZZ, à 12H30.

Partager l'article
Les dernières actus du Jazz blog