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Solness le Constructeur

Le vendredi 29 mars 2013, par Laurent Sapir

Extinction des feux sur la scène de la Colline où Alain Françon monte une terne et monochrome pièce d'Ibsen dont la densité nous échappe. Est-ce la noirceur du propos qui dérange ? On se souvient pourtant d'une mise sous tension plus intense de la part du metteur en scène face aux cauchemars d'Edward Bond. Faut-il dés lors lier nos endormissements passagers au rythme particulier de la pièce?  Tchekhov, pourtant, n'est guère plus haletant, alors que nul autre qu'Alain Françon n'a su, jusqu'à présent, saisir la mélancolie particulière propre à l'auteur de "La Cerisaie"...

On est peut-être là au coeur de la déception. On ne met pas en scène Ibsen comme on monte Tchekhov. Les sentiments refoulés, les antagonismes sociaux et ce sentiment du vide ou du "à quoi bon" sont tellement vibrants chez ce cher Anton qu'ils s'en trouvent sublimement réfractés par les scénographies livides auxquelles Alain Françon a recours. Tchekhov était docteur, Françon le pratique en clinicien, dépouillant son univers de tous les clichés sur l'âme russe pour en extraire des vertiges existentiels dans ce qu'ils ont de plus profonds.

Le Norvégien, lui, demande d'autres ajustements. Déjà dévorée par les psychoses et les traumas, la dramaturgie d'Ibsen ne supporte pas de nouveau plan d'austérité. Il lui faut au contraire la déflagration, ou alors une sorte de fluidité ludique. Stéphane Brauschweig (qui a succédé à Alain Françon à la direction du théâtre de la Colline) l'avait brillamment montré autrefois avec "Brand", puis sa version de "La Maison de Poupée".

L'esprit de troupe n'est pas non plus anodin lorsqu'il s'agit d'emporter le public. Comment oublier, des années après, le "Peer Gynt" d'Eric Elmosnino à l'Odéon sous la direction du metteur en scène-acteur Patrick Pineau ? Avec "Solness...", malheureusement, on tombe de bien haut, à l'image de ce qui finit par arriver à l'anti-héros de la pièce, cet architecte vieillissant qui ne veut décidément pas passer le relais à des plus jeunes que lui jusqu'au jour où une belle demoiselle vient complètement perturber son déséquilibre intérieur et son coeur usé.

Le jeu âpre de Wladimir Yordanoff ne trouve malheureusement pas le trait d'union nécessaire avec la fougue un peu plane d'Adeline d'Hermy, jeune sociétaire de la Comédie-Française. Seule Dominique Valadié, impériale comme à son habitude, parvient à nouer les tripes dans le rôle d'une mère qui paraît éprouver une  peine certaine pour les poupées perdues dans l'incendie de sa maison quand elle y a d'abord perdu ses propres enfants.

"Solness le Constructeur", d'Ibsen, mis en scène par Alain Françon au théâtre de la Colline, à Paris (Jusqu'au 25 avril)

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