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SYEEDA'S SONG FLUTE
JOHN COLTRANE

Pharoah Sanders, musicien-monde...

Le samedi 24 septembre 2022, par Laurent Sapir
Le jazz perd un mastodonte, et aussi son pharaon... Le saxophoniste ténor américain Pharoah Sanders, compagnon de musique de John Coltrane et figure emblématique d'un jazz à la fois mystique et cosmique, est décédé à l'âge de 81 ans. Il nous avait encore tant bluffés l'an passé avec l'album "Promises"...

Roulis de grappe au sax ténor, tempêtes écorchées... Pharoah Sanders était un prophète, un ouragan, avec cette sonorité abrasive et cosmique qui en faisait un musicien-monde... C'était si fort de le retrouver encore l'an passé plongeant son souffle vieillissant dans un grand bain d'electronica et de musique symphonique avec l'album Promises. Voici ce qui avait été bloggé à l'époque:

Un ouragan sort de sa retraite. Il n'a pas toujours été la houle déchaînée, et son jazz mystique a su aussi prendre des contours plus planants. Il n'empêche que l'héritage deColtrane, son messie incarné, Pharoah Sanders l'a surtout prolongé en mode paroxystique. Roulis de grappes au sax ténor, tempêtes écorchées... Et voilà qu'au soir de sa vie et après un long silence, le légendaire octogénaire se sublime dans une autre liturgie. Normal, pour quelqu'un qui a souvent affirmé aimer toutes les religions pourvu qu'elles aient un créateur.

Ou alors un apôtre. Sam Shepherd par exemple, alias Floating Points, jeune geek anglais versé dans les neurosciences avant de se reconvertir dans l'électro expérimentale. Un mystique et un berger ("shepherd "), voilà une jolie rencontre. Surtout avec le London Symphony Orchestra pour enrober cette suite en neuf mouvements qui, à partir d'un simple motif mélodique titillé au clavecin ou à la harpe, nous hypnotise de toute sa magie pendant plus de 45 minutes.

Des nappes de synthé, un piano et des cordes enveloppent l'écoute progressivement. Un minimalisme tout en velouté imprègne les premiers mouvements, Pharoah Sanders excluant lui-même toute démonstration appuyée. Humilité d'un souffle à son crépuscule, mais avec toujours cette consistance venue du cœur. Lors du 4e mouvement, on entend aussi sa voix, doux scat ponctué d'étranges borborygmes. Peut-être ces fameux "ressorts imagés " auxquels se référait l'essayiste Roland Guillon lorsqu'il opposait l'art de Sandersà l'abstraction d'un Ornette Coleman.

La montée en puissance survient à partir du 6e mouvement. Les violons entrent en scène, la suite devient cinématique, et lorsque le saxophoniste revient au 7e mouvement, il livre une puissante envolée telle une réminiscence de ses anciennes furies free. Comme s'il avait trouvé l'assise céleste idéale, si on peut oser l'oxymore, pour redevenir le Pharoah Sanders d'autrefois. Le volume ensuite redescend peu à peu, des trous de silence entourent le motif initial au clavecin et la texture recouvre la mélodie avec des orgues façon jugement dernier. Promises laisse alors entrevoir sa visée finale: une galaxie à jamais étale dont les souvenirs de comètes passeraient à travers le saxo d'un prophète.

Pharoah Sanders (13 octobre 1940-24 septembre 2022)

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