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Petite fille

Le lundi 01 février 2021, par Laurent Sapir
Primé par le prix Louis-Delluc 2020 pour son documentaire, "Adolescentes", Sébastien Lifshitz a également rencontré le succès plus récemment sur Arte avec "Petite fille", davantage source de malaise malgré de belles qualités d'écriture.

Le prénom lui va à ravir. Sasha, qui peut aussi bien convenir à un garçon qu'à une fille, n'est pourtant pas au bout de ses difficultés lorsqu'il s'agit de se revendiquer comme un être au féminin singulier. Surtout lorsqu'on est né de sexe masculin. La caméra de Sébastien Lifshitz l'entoure de ses bras et lui offre un cocon protecteur. Sasha qui s'habille en robe et apprend la coquetterie, Sasha qui danse, Sasha à la plage courant vers l'océan... Des larmes surgissent ici ou là, la société -et surtout l'école- n'aiment pas être confrontés à des Sasha, mais ce n'est pas tant sur ces accrocs douloureux que la mise en scène focalise. Lifshitz s'attache essentiellement à cerner le mystère d'un regard d'enfant. C'est là toute la force de son écriture. Ses limites, également.

De fait, le cristallin fait étrangement ménage, ici, avec le bulldozer. La délicatesse se regarde dans le miroir, se trouve une belle tête d'hymne à la liberté face à tous les conservatismes sociétaux présumés, et d'une chiquenaude musclée dégage illico tous nos questionnements. Stratégie à la bulldozer, oui, lorsqu'on chasse les points de vue qui fâchent et qu'on fait croire au spectateur que ce que vit Sasha se pose dans les mêmes termes pour un(e) enfant de 7-8 ans que pour un ou une ado de 17-18 ans. 

On ne verra pas le "méchant" directeur d'école dans Petite fille. On voit bien un père, fragile contrepoint à une mère sacrément envahissante, sauf qu'on devine aisément à quel point il a pris cher au montage. La mère, donc... D'entrée de jeu, elle culpabilise. Si Sasha veut être une fille, pense-t-elle, c'est que pendant toute sa grossesse elle croisait les doigts pour ne pas enfanter un garçon. L'argument est aussitôt rejeté par une pédopsychiatrique de l'hôpital Robert-Debré. La rapidité de ce déni interroge. Comme si un enfant, en toutes circonstances, ne composait pas d'abord avec ce qu'il n'a pas choisi: son nom, son sexe, ses parents et ce qu'il y a dans l'esprit de ses parents. Les paroles d'une mère qui s'interroge seraient-elles dépourvues à ce point dépourvues de crédit ?

Le propos militant, ici, croise l'individualisme en vogue de notre époque ainsi qu'une approche exclusivement médicale de certains de nos tourments. Tout va bien pour Sasha. Un traitement hormonal pour bloquer sa puberté, et le tour est joué. Est-ce vraiment si simple ? Trancher ainsi dans la chair, n'est-ce pas aussi trancher dans une âme ? "Aimer un enfant, c'est aussi lui faire accepter la limite ", pouvait-on lire récemment dans une tribune de psys suite au succès en prime time de Petite fille. Dans la grande tradition des documentaires qui n'ont pas peur d'aller là où ça fait mal, Sébastien Lifshitz aurait gagné à élargir son regard.

Petite fille, Sébastien Lifshitz, diffusé sur Arte en décembre dernier.

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