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Mingus Mood

Le lundi 11 juillet 2011, par Laurent Sapir

Sa peau le gratte, ses mains l'encombrent, il ne cesse de suer sa race, sa rage et son jazz contre la terre entière... Il ne vous rappelle rien, ce Charlie M. explosé de partout sous la plume de William Memlouk ? Le titre de l'ouvrage, de toute façon, annonce la "couleur" : c'est bien Charles Mingus, sa contrebasse et ses humeurs particulières qui sont au coeur de "Mingus Mood", premier roman plutôt classieux qui plonge fougueusement dans les clichés d'un certain jazz en évitant de s'y noyer avant d'en ressortir ruisselant de communion avec l'un des titans les plus insubmersibles de la Great Black Music.

Mingus comme source d'inspiration, donc... On reconnaît ici ou là John Cassavetes pour lequel le contrebassiste avait conçu la B.O de "Shadows", ou encore le docteur Finkelstein, ce fameux psy qui lâchait des phrases que Charles Mingus était censé traduire avec son instrument. L'auteur exhume également le martyr d'une mère, Harriet Sophia Mingus, morte pour ainsi dire debout, quelques semaines après la naissance de son fils, crachant du sang dans un train qui l'emmenait au Mexique sans qu'aucun Blanc ne daigne lui laisser son siège. Dans la réalité, le train n'allait pas au Mexique mais à Los Angeles...

Pas de souci, monsieur le romancier ! On sait que c'est important, le Mexique, dans le livre... On vous pardonne ce léger décalé avec la vraie histoire, tout comme on vous suit cinq sur cinq lorsque vous évoquez avec un sacré brio d'écriture cette improbable joute musicale entre Charlie M. et un salaud de contrebassiste blanc de Chicago capable d'effrayer à la fois Bird, Coltrane, Monk, Bud Powell, Eric Dolphy et Wayne Shorter... On aime bien aussi ce rapport de Charlie M. avec lui-même ("Sa route se traçait devant lui comme un putain de fil barbelé. Impossible de ne pas s'y écorcher les mains"), avec l'Amérique ("Elle agissait sur lui telle une grippe intestinale") et évidemment avec le Mexique puisque c'est là le coeur du récit. 1957: Charles Mingus et ses musiciens filent à Tijuana, ce "point-frontière ouvert sur le monde"... On n'a jamais trop su pour quelle raison, sauf que la bande en a rapporté une galette de l'extrême, "Tijuana Moods", cinq titres sortis des enfers, cinq morceaux transpirant le sexe et la moiteur, cinq effluves de delirium tremens sur fond de castagnettes.

On l'entend trop bien, ce jazz "abrupt, sauvage, organique", en lisant "Mingus Mood", et on ne s'étonne pas de voir soudain surgir en chair et en os la danseuse dévergondée d' "Ysabel’s Table Dance" avec sa robe rouge de satin à volants noirs, son collier de jade et une salamandre tatouée à l'intérieur de ses cuisses... Mais il n'en a rien à battre,  Charlie M., de la salamandre tatouée, et vaut mieux  ne pas compter sur William Memlouk pour reprendre la fameuse anecdote des 23 filles de joie que la "bête" aurait consommées en une seule nuit.

La fuite à Tijuana, longeant la route d'une femme morte dans un train 35 ans auparavant, c'est d'abord pour échapper à l'échec d'un amour avec une Blanche de bonne famille rencontrée à Greenwich Village et dont la présence autant que le souvenir vont peu à peu miner celui qui avait titré son autobiographie "Moins qu'un chien".  Roman à l'eau de jazz, diront les grincheux... C'est pourtant bien le vrai Charles Mingus, définitivement réconcilié avec Charlie M. pour l'occasion, qui clamait dans une interview : "Lorsque je couche avec une femme, je ne la baise pas, moi, je lui fais l'amour. Le coït sans affection, à la sauvette ? Très peu pour moi ! Ma musique, c’est pareil. Elle a la beauté d'une femme qui ouvre les jambes".

 "Mingus Mood", de William Memlouk (Editions Julliard) Sortie le 18 août. L'auteur sera l'invité de nos "Lundis du Duc" de rentrée, le 5 septembre à 19h, sur TsfJazz, en direct du Duc des Lombards.

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