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Ma vie sur un tabouret

Le dimanche 22 juin 2008, par Laurent Sapir

En littérature comme en musique, Martial Solal déteste ceux qui en font des tonnes. Le véritable improvisateur, écrit-il dans "Ma Vie sur un tabouret", qui vient de paraître chez Actes Sud, "doit, en un temps record, réfléchir, refuser, censurer, préférer et adopter. Autant de verbes qu'il doit savoir conjuguer, ci possible sans fautes de grammaire."

Toute l'exigence, toute l'ironie mordante également dont est capable le compositeur de "Suite en ré bémol" se résument dans ce passage du livre. Du coup, Martial Solal fait très court: alors que son parcours autoriserait au moins dix tomes, son autobiographie n'excède pas 170 pages. Elle touche en même temps, et constamment, à l' essentiel, depuis l'enfance à Alger jusqu'à la reconnaissance internationale, en passant par les années du club St-Germain, l'épisode "A Bout de Souffle" et l'aller-retour entre les deux rives de l'Atlantique.

Le coeur de l'ouvrage, me semble-t-il, se situe dans les dernières pages: jusque là, Martial Solal a souvent fait allusion à ces jours de galère où les contrats n'étaient pas au rendez-vous... Il a connu ça très jeune évidemment, ne serait-ce que dans ce point de rendez-vous qu'était la place Pigalle, dans les années 50, lorsque les musiciens à la recherche d'un job se retrouvaient au même endroit pour tenter de dénicher une soirée dans un club... Le pianiste qu'il était, à l'époque, avait deux obsessions: gagner sa vie bien sûr, mais aussi jouer du jazz quand tant de collègues possédés par le swing étaient contraints de vivoter dans le musette ou la variétoche...

Mais Martial Solal a connu d'autres mauvais jours, au début des années 70, quand son trio à deux contrebasses n'intéressait pas grand monde. Il était alors devenu un accro aux courses de chevaux ! Il raconte ça dans le dernier chapitre. Au hasard des hippodromes, il croisait d'autres musicos laissés-pour-compte, le clarinettiste Mezz Mezrrow par exemple: "Nous parlions de tout, sauf de musique et de drogue... Heureusement. Le contraire m'aurait plutôt embarrassé."

"Ma vie sur un tabouret" n'est pas seulement un précis d'exigence, d'humilité et de concision enrobé d'un flegme et d'un humour à particule qui n'appartiennent qu'à son auteur. La pudeur est aussi au rendez-vous, notamment lorsque Martial Solal évoque son rapport avec le judaïsme, avec à la fois une distance croissante par rapport aux rites de son enfance et l'effroi de voir l'antisémitisme survivre aux pages les plus sombres: "Ce que je craignais sans cesse, c'est que certains de mes amis que j'aimais beaucoup ne fassent de gaffe à ce sujet, et ne révèlent tout innocemment leur racisme. J'aurais souffert de devoir me passer de leur amitié"...

Que ces choses là sont dites avec élégance ! Le doigté du claviériste, la fraîcheur de sa plume, la fulgurance de ses réflexions au soir de ses quatre fois vingt ans... Tout cela concourt à un bonheur d'écriture aussi cristallin que la plus belle des sonates.

Ma Vie sur un tabouret (Actes Sud), de Martial Solal, en collaboration avec Franck Médioni. 20h spécial sur TSF, vendredi 27 juin...

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