Les Enchanteurs
James Ellroy est de retour, dégoulinant de haine et de mépris envers une certaine Marilyn Monroe... Mais où est passé l'auteur visionnaire de "Underworld Usa" et "Perfidia" ?
On imagine à quel point il a pouffé de rire avec ce titre, Les Enchanteurs... Un enchanteur, James Ellroy, lui, le Merlin du roman noir, le sorcier du transgressif, le démystificateur à tout va de l'Amérique à l'eau de rose ? Ce serait pure hérésie dans le CV de l'auteur du Dahlia noir, d'Underworld USA et de Perfidia. Reste à savoir si cette fois, il ne pousse pas le bouchon un peu trop loin.
Car revoilà l'infernal et pervers Freddy Otash, passé de la police à la presse à scandales avant de devenir enquêteur privé. Déjà à l'honneur dans Extorsion et Panique générale, il semble hélas avoir épuisé tout son "charme", si on peut dire, à travers l'épuisant boulot que lui confie son géniteur littéraire. Il est vrai que son nouveau cœur de cible, en cet été 1962, n'est autre que Marylin Monroe qui vient d'être retrouvée morte. À charge pour notre enquêteur de faire disparaître tout lien compromettant entre la star et les frangins Kennedy. Ce n'est pas tout. Il lui faut également élucider les manigances passées de l'icône dans les studios frelatés de la Fox en plein naufrage Cléopâtre, déterrer son rôle exact dans le faux enlèvement d'une starlette au passé quelque peu emberlificoté, sans oublier ses accointances avec des trafiquants mexicains.
Résultat: un imaginaire qui carbure toujours autant, mais avec au compteur plus de 70 personnages (Sinatra manque à l'appel, c'est dommage...) et de multiples intrigues effilochées sur un tissu romanesque dont on a peine à saisir le sens. Circonstance aggravante, une vision gratuitement détestable de la plus touchante des Désaxés. Voilà donc Papy Ellroy reniflant, comme son personnage principal, les draps de Marilyn Monroe avant d'en faire, sous couvert de fiction et avec du Viagra en guise de plume, une sorte de pied-nickelé du machiavélisme au féminin singulier, cynique à souhait et bête comme ses pieds. Ses sympathies communistes, évidemment, n'arrangent rien même si dans un passé pas si lointain, Ellroy avait su donner chair à un personnage magnétique de "déesse rouge "...
Un spectre, dès lors, ne peut que surgir inéluctablement. Pas tant celui de la plus adorable des stars que le spectre d'un écrivain du passé qui se complaît dans des procédés d'écriture de plus en plus usés. Côté style, une syncope qui bafouille; sur le fond, des thèmes qui ont pris de sérieuses rides. Les dépravés d'Ellroy sont au bout du rouleau, ce qui leur reste de sentiment amoureux (Otash en pince notamment pour Pat Kennedy, la sœur de JFK et l'épouse de l'acteur Peter Lawford...) ne déclenche pas un iota d'émotion, et leur grivoiserie prend surtout des accents anachroniques. Marilyn, en revanche, reste aussi jeune que le mythe éternel qui lui est associé. Qu'un vieux monsieur autrefois si visionnaire et si punchy se soit excité à la détruire n'enchantera pas grand monde.
Les Enchanteurs, James Ellroy (Editions Rivages). En librairie ce 18 septembre.