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Laurence Anyways

Le samedi 14 juillet 2012, par Laurent Sapir

Il veut devenir Elle. Pourquoi ? Comment ? On s'en fout. Face à ce genre de trip, notre entendement est à l'Ouest. Ça tombe bien: Laurence Anyways, 3eme film de l'impétueux Québécois Xavier Dolan, nous consume à d'autres grands feux. Non pas les flammes intérieures du prof de philo en clair-obscur qui voudrait changer de sexe, ni même les charbons ardents de la marge et de l'interdit dans le Montréal faussement ouvert des années 90. Non, ce qui est en jeu, ici, c'est d'abord la combustion de deux êtres résolus à rester soudés l'un à l'autre alors qu'une situation extrême est censée pulvériser leur couple.

Il a un prénom féminin, Laurence. Elle, on la surnomme Fred... Leur complicité sauvage crève l'écran à travers des délires dont Xavier Dolan nous fait imbiber tout le côté space comme si les vraies scènes à deux ne toléraient aucun autre regard, pas même celui du spectateur. Puis vient la révélation, entre deux lavages au rouleau dans une station-auto de nettoyage.  Il lui annonce qu'il ne "vit pas pour de vrai", elle en perd son extravagance, devient celle qui plonge, agrippée à son croque-malheur, toujours croque, oui, alors que lui aussi ne veut surtout pas la perdre. Ça dure 10 ans, cet amour-tsunami, avec ses fuites, ses montagnes russes, ses sabotages... 10 ans à en baver d'un bonheur qui se targue de ne pas ressembler à celui des autres. 10 ans dans leur vie, 2h40 à l'écran, des néons montréalais aux neiges de Trois-Rivières, en passant par les brumes d'une mystérieuse île au Noir.

Il lui fallait bien cette durée-fleuve, à Xavier Dolan, pour ruisseler de tous les torrents dont il est capable. Il lui fallait fondre dans l'universel pour transcender ses tics et tocs de petit génie gay du 7ème art amené à signer, en fin de compte, son film le plus hétéro. Oublié, le décalage irritant, jusqu'à présent, entre la justesse d'une émotion, le narcissisme d'un tempérament et la préciosité d'une mise en scène. Laurence Anyways renverse tous ces tiroirs, déboule de baroque, de lyrisme New Wave, de kaléidoscope musical (De Prokofiev à Depeche Mode, sans oublier la séquence top autour du planétaire Fade to Grey...) et de plans dingues, genre vêtements multicolores qui tombent du ciel.

Si mal assortis à priori et pourtant tout en gémellité d'âme, Melvil Poupaud et Suzanne Clément en sont d'autant plus poignants, tout comme Nathalie Baye dans la peau de la mère que plus rien n'atteint. Inutile de dénouer les fils du rire et des amertumes  dans cette fresque-monde ponctuée de répliques-culte ("Les Belges parlent lentement, mais ils ont l'esprit de synthèse" à-propos d'une célèbre chanson de Jacques Brel...) et dans laquelle un poème d'Eluard tatoué au creux du dos suffit à nous inonder de larmes... A 23 ans à peine, Xavier Dolan a déjà atteint cette maturité qui flamboie au-delà du panache. Il a le droit, à présent, de se réclamer de Jean Eustache.

Laurence Anyways, de Xavier Dolan (Sortie en salles le 18 juillet)

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Lawrence Anyways

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