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L'amour comme hypothèse de travail

Le dimanche 07 avril 2013, par Laurent Sapir

"Une relation dont le sérieux est absent, ça n'existe pas"... De sa voix métallique, le Dr Bassett a toujours ce don des sentences dont il est difficile de s'extraire. Son fils, Neill Bassett, en fait l'étrange expérience alors même que son géniteur n'est plus de ce monde. De fait, c'est avec un ordinateur programmé à partir du journal qu'a tenu son père que notre trentenaire un peu paumé noue la conversation.

Et plus les pages filent, plus l'ordinateur devient non seulement "paternel" mais aussi capable d'émotions qui font naître chez ces concepteurs une idée pas si farfelue qu'elle en a l'air... Et si on lui inoculait un peu d'amour, à cette machine réincarnante? Et si l'amour comme hypothèse de travail augurait d'un lien nouveau, sur terre, entre les humains et les robots ? Cet avenir relève-t-il de l'utopie ou du cauchemar?  Scott Hutchins, élégamment, ne tranche pas à la place de ses lecteurs. Il fait oeuvre, en revanche, de formidable conteur pour ancrer son récit d'extra-terrestre dans un San Francisco hype à souhait, entre bars branchés sur la baie, boutiques bio et Silicon Valley.

Il faut dire que ce professeur de Stanford âgé de 38 ans la connait sur le bout des doigts, sa ville, jusqu'à nous la rendre attractive et fascinante malgré ses codes techno et post-hippy qui flirtent parfois avec la caricature. La "City by the Bay" s'avère en tous les cas un cadre idéal pour célibat contrarié. Vivant seul avec son chat après un mariage qui s'est effondré lors de vacances espagnoles (peut-être la séquence la plus désopilante du roman...), notre héros n'hésite pas à se faire passer pour un touriste dans une auberge de jeunesse pour accoster Rachel, une lolita branchée méditation sexuelle qu'on aurait voulu d'avantage séduisante mais qui a au moins le don de lui inspirer des pensées distanciées dont on est toujours très friand:  "Je ne suis pas de ces hommes pourvus de désirs âpres, qui, dans le jeu de leur vie, suivent leurs fixations", ou encore "Qu'allons nous faire ? Le défi que pose l'écart des générations, c'est le temps mort"...

Elle voudrait "affronter certains trucs" avec lui, comme s'il fallait donner un minimum de sens à la moindre romance. "C'est toujours mieux, aime-t-il à penser, que le point de vue étroit et nihiliste de l'occasion à saisir"... "Une relation dont le sérieux est absent, ça n'existe pas"... Tiens, le revoilà, celui-là ! L'ordinateur-père, la voix métallique qui la joue psy, l'intelligence artificielle tellement plus bavarde que ne l'était le Dr Bassett de son vivant... A son "contact", Neill se dit qu'il n'est peut-être pas si vain de se lancer dans une relation intime et sincère avec les miss qui le méritent. L'amour, cette éternelle hypothèse de travail...

"L'amour comme hypothèse de travail", de Scott Hutchins (Editions Belfond). Coup de projecteur avec l'auteur, ce jeudi 11 avril (12h30) sur TSFJAZZ

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