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La Loi du Marché

Le lundi 18 mai 2015, par Laurent Sapir

Prenez un pur et immense acteur de cinéma et plongez-le dans un grand bain de réel comme dans un corps étranger. Après Alain Cavalier avec Pater, c'est Stéphane Brizé qui s'empare ainsi de la stature de Vincent Lindon pour en faire un vigile de supermarché en contact avec des caissières jouant leur propre rôle. Rajoutez au casting une banquière, un agent de Pôle-Emploi ou encore des syndicalistes qui interprètent eux aussi ce qu'ils sont dans la vie. L'alchimie qui en résulte pourrait suffire à faire de La Loi du Marché un très grand film.

Mais il n'y a pas que l'alchimie. Il y aussi le regard. Celui de Stéphane Brizé relève d'une autre alchimie. Côté pile, la violence sociale ordinaire au miroir de ce que vit le personnage principal avant d'atterrir dans une galerie marchande: la France du chômage de masse, des entretiens d'embauche par Skype et autres  stages débiles forcément infructueux puisque jamais en rapport avec la formation de l'intéressé. Côté face, une empathie de tous les instants, surtout quand la caméra zoome sur l'univers familial de Thierry, joué par Vincent Lindon.

Il a un enfant handicapé. Supplément glauque ? Oasis de tendresse, plutôt...  Scalpel et générosité. Hors-cinéma, on ne connait que Florence Aubenas pour exceller sur les deux versants. S'y ajoute un art superbement maîtrisé du plan-séquence et une façon d'en creuser tout le suc émotionnel jusqu'à nous passionner pour la vente d'un mobile-home. Jusqu'à en faire un pur moment de cinéma sous le vernis documentaire, rien qu'en observant les différences de taille entre certains des protagonistes de la scène..

On pense à Pialat et à Cassavettes, évidemment, même si Stéphane Brizé privilégie l'implosion sur l'explosion. On ne verra pas une larme dans La Loi du Marché. On sera sans cesse confronté à des effondrements, mais hors-champ. On observera un employé de magasin emmagasiner mais ne jamais craquer. Quel sale boulot il fait, pourtant ! Surveillance généralisée, caissières sous pression, clients sans le sou pris en flagrant délit de vol et qui n'ont pas du tout un physique de racaille...  Va-t-il finalement se rebeller, notre vigile ? Vincent Lindon, émacié de partout, signe sa composition la plus poignante.

La Loi du Marché, Stéphane Brizé, sélection officielle à Cannes. Sortie en salles ce mardi 19 mai.Coup de projecteur, le même jour, sur TsfJazz (12h30) avec le réalisateur.

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