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Julie (en 12 chapitres)

Le jeudi 14 octobre 2021, par Laurent Sapir
La carte du tendre dans tous ses états... Avec "Julie (en 12 chapitres)", le réalisateur norvégien Joachim Trier signe un portrait de femme stylé, mélancolique et au diapason de l'époque même s'il nous en livre un peu trop vite toutes les clés.

Elle ne veut pas de môme, en tout cas pas encore, et elle ne restera pas immobile, du moins pas trop longtemps. Le regard noisette de Julie oscille au bord de la trentaine, traquant le job idéal et le gars qui va avec. Il serait à la fois partageur, gorgé de fantaisie et pas trop con. Si elle s'ennuie de toute façon, elle ira voir ailleurs. Fragmentée en 12 chapitres, sans oublier le prologue et l'épilogue, l'odyssée de cette Norvégienne libérée (mais pas tant que ça...) dessine une bien jolie carte du tendre à l'ère post #MeToo.

On est aussi entre deux vagues de COVID d'où certains masques qui tombent vers la fin du film quand d'autres, au contraire, apparaissent... Comme dans son Oslo, 31 août qui l'avait fait connaître, mais cette fois de façon plus lumineuse, Joachim Trier ausculte à merveille le pouls d'une génération et l'air du temps. Si certains intégrismes écolos ou féministes l'amusent, il prend surtout soin d'enrober la quête de son héroïne d'un néo-romantisme échevelé.

Échanger des volutes de cigarette plutôt qu'un baiser, ranger des livres en écoutant Billie Holiday, rêver que le monde se fige sous un ciel d'été scandinave avant de rejoindre son amoureux sur un banc, façon Manhattan... C'est cool, cette façon de tourner les pages avec Julie, surtout quand elle a les traits espiègles et tremblants de Reinate Reinsve, si mérité prix d'interprétation féminine à Cannes. Reste à soigner le dégradé de ses humeurs, ou plutôt celles de son réalisateur, et là, ça coince un peu... C'est bien sympa, les champignons hallucinogènes, mais lorsque le film bascule de la légèreté au drame, ça manque un peu de fondu enchaîné.

Surtout lorsque cette absence de transition est véhiculée par un personnage masculin que le scénario avait salement abîmé dans le premier tiers du film: qu'attendait-elle, Julie, pour larguer son auteur de BD si lourdingue, Aksel, le quadra à l'ego larmoyant et aux jugements péremptoires ? Sauf que le même bonhomme revient curieusement immaculé par un drame vers la fin du récit, et avec une puissance de lucidité (la caméra le saisit dans un temps suspendu, batteur sans batterie sur son lit d'hôpital, nostalgique d'une période "où la culture se transmettait par les objets "...) à peine anticipée par la séquence de l'interview avec une journaliste "offensée".

On est vraiment obligé d'avaler ça ? De fait, on se retrouve à la fois bouleversé et perturbé par cette façon qu'a Joachim Trier de forcer le trait comme s'il s'agissait pour lui, en procédant ainsi, de dissimuler le fait que sa Julie, même à travers 12 chapitres, n'évolue pas vraiment, ou alors de manière pas assez surprenante par rapport aux clés du personnage telles qu'elles nous sont livrées d'entrée de jeu. Une sublime version d'Aguas de Março signée Art Garfunkel finit heureusement par transformer en péché mineur ce que ce beau portrait de femme peut avoir de programmatique.

Julie (en douze chapitres), Joachim Trier, prix d'interprétation féminine à Cannes pour Reinate Reinsve. Le film vient de sortir en salles.

 
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