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Elisabeth ou l'Équité

Le mardi 03 décembre 2013, par Laurent Sapir

Eric Reinhardt passe haut la main son grand oral de romancier désormais dramaturge. La preuve avec Elisabeth ou l'Éem>quité, première pièce d'un auteur toujours aussi passionnant lorsqu'il s'agit d'autopsier nos failles intimes au miroir de la mondialisation. On est d'autant plus ravi de le voir passer un tel cap que ce n'est pas tous les jours qu'une usine en lutte, un fonds de pension américain ou alors une réunion de comité d'entreprise s'invitent sur un plateau de théâtre.

"Équité n'est pas justice, c'est l'appréciation de ce qui est dû à chacun. Comme l'amour, c'est un sentiment, c'est fragile, c'est vivant, ça s'entretient"...  C'est au plancher de sa descente aux enfers qu'Elisabeth parvient à cette conclusion. Broyée par un système dont elle était au départ l'une des pièces maîtresses, la DRH campée par la troublante Anne Consigny est désormais prête à dire non à son patron américain qui l'avait sommée de négocier sans états d'âme la fermeture d'une usine, en France. Elle en profite aussi, par la même occasion, pour larguer son bobo de mari (le rôle est tenu par le metteur en scène de la pièce, Frédéric Fisbach..,) qui, malgré ses discours de "gauche", ne parvient plus à comprendre son épouse.

La pièce a été quelque peu massacrée par les critiques qui n'ont pas apprécié qu'un romancier à succès marche sur leurs plates-bandes. Les griefs se sont surtout concentrés sur la belle relation qui s'établit, au fil du récit, entre la DRH et un syndicaliste interprété pourtant à rebours de tous les clichés par l'excellent Gérard Watkins. Les lecteurs de Cendrillon et Le Système Victoria auront une toute autre appréciation. Confortés par une mise en scène nerveuse et inspirée, à l'instar des magnifiques scènes jouées en anglais dans le bureau du propriétaire du fonds de pension, ils retrouveront avec plaisir les piques pamphlétaires de Reinhardt contre la jungle néo-libérale mais aussi son habileté à ne jamais tomber dans l'agitprop.

Ils savoureront également la fixation que fait l'auteur sur les personnages de DRH au féminin singulier. Fantasme récurrent lié aux femmes de pouvoir ? Tout sépare, pourtant, la fragile Elisabeth de l'impitoyable Victoria. Tout, sauf peut-être cette façon, pour reprendre une expression d'Eric Reinhardt, de "réinitialiser" son coeur et sa conscience quand certaines bornes sans franchies. Dans Le Système Victoria, cette réinitialisation était d'abord d'ordre sexuel, l'héroïne du roman évacuant (tout en l'assumant) le stress de son métier dans un libertinage des plus effrénés. On est un peu plus dans le non-dit, l'amertume de l'âme et l'infinie douceur sur la scène du Rond-Point. Ce qui n'enlève rien à la brutalité d'un monde.

Elisabeth ou l'Équité, d'Eric Reinhardt. Mise en scène de Frédéric Fisbach au théâtre du Rond-Point, à Paris (jusqu'au 8 décembre) Coup de projecteur avec le romancier, ce mardi 3 décembre (12h30) sur TSFJAZZ.

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