Lundi 13 mai 2024 par Laurent Sapir

Christian Escoudé ou quelque chose d'Aranjuez...

Le guitariste Christian Escoudé s'en est allé à 76 ans. Au carrefour du jazz manouche et des musiques noires américaines, il avait forgé un style personnel dont la mélancolie s'était cristallisée en 2010 dans un album d'anthologie, "Catalogne".

 

Après Sylvain Luc, Christian Escoudé... Le monde de la guitare, mais aussi celui du jazz manouche, viennent de perdre une âme en or hantée par le sort des enfants gitans morts en déportation, mais qui avait aussi le don de faire swinguer Brassens dans un album remarqué. Autre temps fort, le prodigieux et mélancolique Catalogne, en 2010: du Django tout en spleen, avec un je-ne-sais quoi renvoyant à l'univers de Scola, de Dabadie, de Sautet... ou encore à celui de Jacques Demy, dont Christian Escoudé reprenait le fameux Delphine à Lancien des Demoiselles de Rochefort. Voici ce qui avait été bloggé à l'époque:

Il y a du cinoche dans mes oreilles. Pas seulement à cause de l'une des plus belles chansons des Demoiselles de Rochefort (Delphine à Lancien).Pas seulement à cause du fondu enchaîné entre certains morceaux. J'entends aussi Scola, Dabadie, Sautet... Qui a tant grandi dans cette affaire ? Qu'est ce qui fait qu'elles  sont moins rêches, les cordes manouches, moins à l'usine, plus dans le spleen ? Qu'est ce qui leur donne cette patine si mélancolique, à ces arrangements de standards sépia (The Mooche, Begin the Begine, Moonlight in Serenade) ?

Il y a de la valse à mille temps dans le nouvel album de Christian Escoudé, et même quand ça bouge, on peut respirer, ce n'est pas la ruée, on a le temps de prendre une photo, à Chicago comme au Moulin Rouge, et on retrouve toute la saveur d'un morceau comme Made in France... Mais c'est surtout quand le tempo se ralentit qu'on décolle. C'est tellement ça, le Django qu'on aimait. Celui de Choti que David Reinhardt arrose de quelques coulis de mandoline, ou de Quelque fois (pour que ma vie demeure), avec la parenthèse qui veut tout dire.

De la valse, oui... Quelque chose d'Aranjuez aussi, le fameux concerto revisité par Miles Davis, avec ce Catalogne qui est peut-être le sommet du disque. C'est Anne Paceo qui donne le tempo avant que ne s'envole la clarinette de Thomas Savy. C'est beaucoup moins "jungle" et beaucoup plus lancinant que la version qu'en avait donnée Escoudé autrefois, dans un disque américain. Autre temps fort du disque, l'échevelé Tango pour Christian... ça non plus, ce n'est pas du Django, ou alors ce serait un Django enfin adulte, un Django qui aurait échangé l'insouciance contre une gravité cool, pas redondante, tranquillement poignante face au temps qui passe et aux belles choses qui restent encore à vivre.

Mais bon, c'était aussi ça Django Reinhardt, même si ce n'est pas le Django qu'on nous vend... Qui a tant grandi, finalement, dans Catalogne ? Django lui-même ? Le guitariste vedette de l'album ? ou alors le type à la réalisation qui, aussi bien sur disque qu'à la tête de  TSFJAZZ, est toujours là pour montrer qu'on est jamais autant soi-même qu'en allant voir ailleurs... Au fait, celui-là, il ne serait pas devenu papa par hasard?

Christian Escoudé (1947-2024)