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Cher connard

Le mercredi 07 septembre 2022, par Laurent Sapir
Liaisons dangereuses ou liaisons poreuses ? En matière de roman épistolaire, le "Cher connard" de Virginie Despentes pèche surtout par manque de relief.

On a lu le dernier Virginie Despentes. C'est long, fastidieux et tendre à la fois, la tendresse sauvant peut-être l'essentiel. Ainsi la guerre pourrait ne pas avoir lieu entre Rebecca Latté, comédienne plus toute jeune camouflant avec prestance le déclin de sa carrière, et Oscar Jayack, un écrivain égocentrique qui a osé lui manquer de respect sur les réseaux sociaux. "Cher connard...", réagit-elle aussitôt, sauf qu'au gré des mails que ces deux-là s'échangent, on devine à quel point le "cher " va peu à peu l'emporter sur le "connard "...

D'autant qu'une tierce personne s'en mêle: Zoé Katana, jeune féministe radicale évoquant dans ses posts le trauma que lui ont causé les harcèlements passés d'Oscar. "Me voici metooïsé ! ", pleurniche aussitôt ce dernier, déclenchant en réaction les moqueries, mais aussi une certaine compréhension de la part de Rebecca. La Zoé, quand même, faudrait qu'elle se calme un peu... Le lecteur, quant à lui, a de quoi être surpris. Où est passée la tonitruante autrice de King Kong théorie qui, plus récemment, applaudissait le coup d'éclat d'Adèle Haenel aux Césars 2020 avec son fameux: "On se lève et on se casse " ?

De fait, "Cher connard " ne casse pas grand chose. En matière de roman épistolaire, Les Liaisons dangereuses sont surtout devenues les liaisons poreuses, comme si Despentes privilégiait de manière assez artificielle, hélas, les points de contact entre ses protagonistes et non pas les aspérités qui permettraient de leur donner une voix propre. Bientôt, on ne sait même plus qui parle, surtout quand ça parle drogue. Au final, la raison pour laquelle Rebecca a accepté cette correspondance-marathon avec le fade Oscar persiste à nous échapper. N'est-il là que pour faire paravent, la quinca se parlant surtout à elle-même avant de reprendre à son compte le fameux "tout le monde a ses raisons " cher à Renoir ? 

Même Zoé, la jeune enragée, finit par se fâcher avec d'autres courants féministes. À ce point amollie, la palette romanesque de Virginie Despentes ne surnage qu'au travers de quelques punchlines dont elle est coutumière, sans oublier l'apparition du COVID qui aiguise momentanément les stimulis des personnages. Maigre moisson, bien que la tonalité empathique qui s'en dégage soit tout sauf détestable.

Cher connard, Virginie Despentes (Grasset)

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