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Anne de Gasperi au pays d'India Song...

Le jeudi 05 mars 2015, par Laurent Sapir

Au pays des limbes, on entend peut-être la musique d'India Song. Elle nous en avait si passionnément parlé, de Marguerite Duras dont elle était si proche et de ce film en particulier, lors d'un matin jazz, à la radio, avant qu'elle ne tombe malade. Le dernier adieu à Anne de Gasperi, qui couvrait pour TSFJAZZ le festival de Cannes depuis 2008, s'est déroulé hier matin en l'église Saint-Germain, à Paris. Quelques têtes connues dans l'assistance : la journaliste et critique de théâtre Armelle Héliot, qui incarne avec toujours autant de vaillance et de sensibilité l'esprit de Beaumarchais au Figaro; Henri Chapier, qui nous avait apporté Anne comme un cadeau à la radio et qui trouve les mots qu'il faut, à l'église, pour évoquer la spiritualité de notre amie sans tomber dans la bondieuserie...

Egalement présente, Bulle Ogier, l'inoubliable Claire de L'Amour Fou sous la direction de Jacques Rivette. Le Mali, le Vietnam, l'Italie... Voyageuse dans l'âme mais aussi dans sa généalogie toute personnelle, Anne de Gasperi avait écrit une autobiographie romanesque, Trois grains de sable dans le Niger (Flammarion), dont quelques extraits ont été lus à l'église. Elle avait aussi participé à l'aventure du Quotidien de Paris et tourné quelques courts-métrages après s'être initié à l'art de la caméra au côté de Jean Rouch.

Et puis il y eut ses printemps cannois à TSFJAZZ. Ses ardeurs, ses coups de griffe, l'indéniable beauté de son regard sur les films et sur les créateurs, mais aussi sa frénésie quasi-adolescente de festivalière, ses pronostics et commentaires de palmarès... La palme à Entre les Murs, de Laurent Cantet ? A peine mieux qu'une soirée Thema sur Arte, avait-elle lâché... Pas touche, en revanche, à Alain Resnais, aux frères Dardenne et à toute sélection italienne, quel que soit son niveau du moment.

A Cannes, Anne aimait aussi se distraire, craquant pour Johnny Hallyday dans un film d'action asiatique, pour Jean Dujardin en plein numéro de claquettes dans The Artist ou encore pour Tarantino et son Inglorious Bastards. On sentait bien, en même temps, que sa vraie sensibilité était ailleurs, à l'image de ses réactions à chaud pleines d'émotions après avoir vu La Vie d'Adèle, d'Abdellatif Kéchiche, ou alors Adieu au Langage, de Jean-Luc Godard.

Admirable diction. Les mots, elle les caressait, tout en se pliant bon gré mal gré aux paramètres de la radio. "C'est trop long, Anne !", "Il y a eu une coupure sur ton portable. Peux-tu recommencer à partir de... ?". Qu'on était fier de son expérience, de sa classe, de son phrasé tellement stylé... J'avais pu vérifier, plus tard, à la faveur d'un déjeuner inoubliable dans un resto vietnamien, sa proximité avec des noms légendaires du 7e art. Truffaut, Demy... Elle avait, de toute façon, sur les gens, qu'ils soient célèbres ou non, la même attention que celle qu'elle portait sur les films.

Sur mon répondeur, il y a quelques mois, elle a cette incidence entre deux phrases: "La vie est belle". Elle est déjà en clinique, préférant causer aux amis plutôt qu'aux médecins. Je la rappelle, j'entends encore le rire dans sa voix. Et surtout, une sérénité inouïe. Comme Marguerite Duras qui avait dit, un jour: "Tu te rends compte ? La mort qui vient d'avant toi, pour toi, toi seul.. Il y a un jeu enfantin là dedans, il faut le jouer". Le jouer sur un air de Carlos d'Alessio, évidemment... Cet air lancinant d'India Song qui te faisait tant vibrer, Anne, et qui portait autrefois le vice-consul de Lahore jusqu'aux Indes en lui donnant "envie d'aimer".

Anne de Gasperi est décédée le 22 février 2015 à l'âge de 76 ans.

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