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André Malraux, ministre de l'irrationnel

Le lundi 24 mai 2010, par Laurent Sapir

On peut à la fois rayonner et se consumer de l'intérieur. Ainsi apparait le Malraux que l'historien Charles-Louis Foulon évoque dans "André Malraux ministre de l'irrationnel". Côté pile, l'ambassadeur prestigieux du Général, l'ardent "canonisateur" de Jean Moulin, le créateur inspiré des premières maisons de la Culture, l'homme qui illumine à nouveau le sourire de la Joconde en lui offrant le voyage en Amérique. Côté face, le Malraux incontrôlable, dépressif, absent, obsédé par le funéraire, brisé par la mort de ses deux fils dans un accident de la route, dopé à l'opium, au whisky et aux amphétamines.

"Prophète visionnaire et défoncé", dira Jean François Bizot en guise d'épitaphe. La vérité, telle que nous la restitue l'auteur, est que ce compagnon fondateur qui veut forger le premier grand ministère des Affaires Culturelles à partir des Beaux Arts ne va jamais se donner réellement les moyens de ses ambitions. Il lui est facile, certes, de mettre un peu plus de tragédies à la Comédie Française face à un Michel Debré qui préside à l'époque la société des amis d'Eugène Labiche, mais lorsqu'il s'agit d'aller quémander auprès du Général un budget digne de ce nom, l'auteur de "La Condition Humaine" est aux abonnés absents.

De Gaulle en est évidemment ravi, et comme il ne veut pour rien au monde renoncer à ce ministre-miroir qui donne mille reflets à son panache, il tolère chez Malraux ce qu'il n'accepterait d'aucun autre membre de son gouvernement. Pompidou n'est pas en reste, lui qui voit d'abord dans l'ancien compagnon de route des communistes un capital électoral aisément fructifiable... "Qui savait avant qu'il y avait un plafond à l'Opéra ?", plaidera t-il en l'honneur de son ministre lorsque les vieilles biques se déchaîneront contre le paradis lyrique recoloré par Chagall à Garnier.

Ainsi donc a crapahuté et bringuebalé, l'espace d'une décennie, ce ministère en pointillés dont le premier directeur de cabinet n'avait d'autre mérite que d'avoir participé au commando qui avait eu la peau, sous l'Occupation, du très Vichyssois Philippe Henriot. Cette escouade de pieds-nickelés va finir par se professionnaliser jusqu'à acquérir une autonomie bien dangereuse, avec dans la foulée la censure de "La Religieuse", de Jacques Rivette, sans oublier bien sûr l'affaire de la Cinémathèque en 1968. A ce point tourmentée, l'odyssée de Malraux dans son ministère laisse pourtant, après coup, le souvenir d'un parcours d'exception. Il est vrai que depuis, on nous a expliqué que "tout" était culturel... On est même allé plus loin en brocardant "La Princesse de Clèves" et en proclamant le règne du bling-bling.

C'est en regard de tous ces avatars que la plume de Charles-Louis Foulon met joliment en perspective le grand dessein "malrucien" malgré une construction aussi déroutante, parfois, que le sujet même du livre, ce qui donne lieu à des redites. La réserve relève à vrai dire du détail tant on est scotché, tout au long de ces pages, par l' "appel à la fraternité" qui imbibe en permanence la prose, les choix et les engagements d'André Malraux...

"La liberté n'a pas toujours les mains propres, déclarait le ministre du Général au moment où "Les Paravents" de Jean Genêt étaient en péril à l'Odéon, mais avant de la passer par la fenêtre, il faut y regarder à deux fois"... "Il y a quelque chose de beaucoup plus plus profond qu'un débat dans cette enceinte, ajoutait il, c'est de savoir où la poésie prend ses racines. Or vous n'en savez rien et moi non plus"... Nous avons eu Hugo comme ministre, finalement, et il y a vraiment de quoi en être fier...

"André Malraux ministre de l'irrationnel ", de Charles-Louis Foulon (Gallimard) Coup de projecteur avec l'auteur sur TSFJAZZ le mardi 1er juin à 8h30, 11h30 et 16H30

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