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UNA ROSA BLANCA
IBRAHIM MAALOUF / HAROLD LOPEZ NUSSA

Accelerando

Le dimanche 25 mars 2012, par Laurent Sapir

La mathématique bleue de Vijay Iyer peut effrayer, convenons-en. "Le tempo musical est mesuré en pulsations à la minute: le temps divisé par le temps", nous explique le pianiste pythagoricien dans les liner notes de son nouvel album.  "Ce ratio, poursuit-il, exprime la disparité entre le temps subjectif, expérimental et le temps objectif, mesuré ; cela décrit comment la musique prend le contrôle de notre expérience temporelle". Euh... Vous suivez toujours ?

Il y a mieux à faire, en vérité, que de décrypter les E=MC2 de Vijay Iyer. Son jazz est suffisamment robuste, sanguin et rugissant pour s'épargner on ne sait quelles complications algébriques. Moins hypnotique que les transes indiennes de "Tirtha", sorti en 2011, "Accelerando" est en même temps son album le plus abouti, ne serait-ce que dans l'efficience absolue d'un trio reconstitué qui nous permet de retrouver, trois ans après "Historicity", Stephane Crump à la contrebasse et et  Marcus Gilmore (le petit-fils de Roy Haynes !) à la batterie.

Ces trois-là ne font qu'un, formant ensemble une biomasse dont l'énergie convoque immédiatement à l'esprit un autre trio pareillement volcanique, celui de Jason Moran. Les deux pianistes bouillonnent dans la même marmite et les mêmes prises de risques... Le même type de répertoire également, entre compositions originales ("Lude" ou le crescendo imperceptible, donc parfait...), interludes chorégraphiques et hommages aux grands maîtres ("The village of the virgins", joyau méconnu de Duke Ellington).

Vijay Iyer y rajoute de saillants emprunts à la culture pop américaine dont il désosse en surdoué les paramètres les plus formatés sans jamais porter offense à la trame mélodique de départ, comme en témoigne sa très belle reprise de "Human Nature" qu'il avait déjà testée en solo deux ans auparavant. On retrouve aussi, chez Vijay comme chez Jason, cet entrecroisement permanent des rythmes et des traditions, ce cocktail de binaire et de tertiaire, ces effluves de hip hop absorbées dans un toucher monkien ainsi que ces cassures et autres montées en puissance qui culminent notamment dans l'haletant "Little pocket size demons" d'Henry Threadgill...

Ainsi s'accomplit Vijay Iyer qui continue, comme l'a si joliment résumé Philippe Carles dans son Dictionnaire du Jazz, « à éclairer le 21ème siècle naissant comme un feu d’artifice dans une jazzosphère percluse de routines et de phénomènes de mode ». On ne saurait mieux dire.

"Accelerando", de Vijay Iyer (Label Act). Concert au Duc des Lombards le 21 avril

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