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Miles Davis: Birth of the cool

Le lundi 20 avril 2020, par Laurent Sapir
Chez le plus visionnaire des jazzmen, le "cool" est à la fois une façade et une raison d'être... Avec "Miles Davis: Birth of the Cool" diffusé sur Netflix, Stanley Nelson signe un sans-faute.

Petite frayeur au départ. C'est qui, ce type qui imite la voix éraillée du Prince of Darkness? L'acteur Carl Lumbly, heureusement, fait le job. S'il racontait des âneries, on hurlerait au sacrilège. Sauf qu'en suivant à la lettre les propos de Miles Davis dans son autobiographie, il sonne constamment juste. Il n'est d'ailleurs pas le seul à l'imiter, comme si chacun à sa manière tentait une réincarnation de ses souvenirs (ou de soi...) en reprenant le timbre si particulier du trompettiste aux cordes vocales fracassées.

Archives et iconographie faisant ressurgir toute une mythologie, montage nerveux au diapason du sujet... Le documentaire de Stanley Nelson nous captive et nous touche d'autant plus que certains témoins sont partis récemment: Jimmy Heath, Frances Taylor... Les vivants font mouche, eux aussi. Herbie Hancock, par exemple: "Quand Miles jouait, c'était comme un ricochet dans l'étang. Il effleurait les vagues"... Le rire de Wayne Shorter crève également l'écran, surtout quand il raconte comment son ancien patron, à l'école, traitait sa prof de "sale menteuse" parce qu'elle avait osé résumer l'essence du blues aux plaintes et aux larmes des esclaves enchaînés.

Alors que Miles, ça toujours été le contraire, avec cette fameuse "cool attitude" qui fut à la fois pour lui une façade et une raison d'être. Les failles, il les dévoilait dans ses ballades et les dissimulait dans son rapport aux autres. La drogue manque de le faire choir, tout comme le racisme d'un flic new-yorkais alors même qu'il est au faîte de son triomphe, juste après Kind of Blue. Il résistera. Costards et Ferrari. Flegmatisme et sophistication. Avec lui survient "l'ère de l'homme noir" (Jimmy Heath), celui qu'il "ne vaut pas mieux pas emmerder" (l'essayiste Farah Jasmine Griffin). "On ne voulait pas seulement jouer avec Miles, lâche le bassiste Lenny White, on voulait sa vie !"

Le cool séduit, hypnotise, mais il a la peau dure. Archie Shepp tente sa chance auprès du maestro: "Archie quoi ??? Fuck You !!". Le cool peut même virer au sordide lorsqu'il ne jure plus, soudainement, que par l'esclavage conjugal. Malheureuse Frances Taylor contrainte de lâcher les répétitions de West Side Story parce que la place d'une femme est d'abord auprès de son mari. Miles l'oblige à faire la cuisine. Entre deux préparations de plats, elle monte régulièrement dans sa chambre, rien que pour contempler une dernière fois ses souliers de danseuse...

Ombres et lumière. Entre les deux, une audace constamment visionnaire, une quête inlassable d'explorations, une prime inassouvie à la jeunesse (Revoir Tony Williams derrière ses cymbales dans le 2e quintette alors qu'il n'avait que 17 ans...), et bien évidemment aussi la hantise d'être largué et de vieillir. En réécoutant pourtant It Never Entered My Mind, qui sublime avec bien d'autres morceaux cette évocation pulsée du parcours de Miles Davis, on serait bien en peine d'y discerner quelques rides.

Miles Davis: Birth of the Cool, Stanley Nelson. Actuellement sur Netflix.

 

 

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